Marianne Le Vexier

La peinture du dehors

Quelle est cette parole étrange, complexe, que profèrent les oeuvres de Marianne Le Vexier ? Serait-ce celle que voulu parler le surréalisme, ou bien, d'une manière plus profonde et plus radicale encore, celle que surent parler, il y a maintenant plus de 18 000 ans déjà, les hommes (et les femmes) qui tracèrent sur les murs des grottes de Lascaux, non pas seulement des figures (des taureaux, des félins, des hommes), mais bien aussi ce que Jung appelle, des Archétypes. A savoir, des figures dont le sens se confond avec la force qu'elles contiennent ? Sans vouloir apporter une réponse définitive à cette question (car celle n'a de sens qu'à la condition de rester ouverte), il me semble possible de dire, dès à présent, que la véritable grandeur des oeuvres de Vexier ne tient pas seulement au fait qu'elles savent évoquer, avec une subtilité rare, le « désordre » apparent des rêves, mais qu'elles soient capables, dans le même temps, d'assigner à ce désordre un ordre non contraignant, c'est-à-dire, un ordre qui puisse faire dialoguer ensemble des niveaux de réalité qui d'ordinaire s'opposent.

La peinture du dehors

« A nouveau quelque chose cherche à parler qui s'était tu depuis longtemps ou n'avait d'autre langage que la fulguration lyrique, d'autre forme que la fascination de l'art. »
Maurice Blanchot

Pour reprendre, ici, un concept inventé par le théoricien Bakhtine, il faudrait pouvoir montrer en quoi les peintures de Vexier possèdent une structure dialogique1. Car ce n'est qu'à partir de l'instant où nous auront compris qu'envers et contre le « désordre » qui s'agite à la surface de ces toiles (désordre que notre oeil paresseux aurait trop vite tendance à mettre sur le compte de l'abstraction) se tient, juste en dessous, tout un réseau narratif complexe - réseau qui seul peut nous permettre de descendre dans l'âme de cette oeuvre et d'y entendre sa parole fragile, sa parole des confins. Mais cette parole des confins que porte l'oeuvre de Vexier, que cherche-t-elle à nous dire ? Pour ne pas risquer de simplifier à outrance ce qui, en vérité, ne tire sa substance et son sens qu'à force d'être ramener au mille et uns détails qui en composent la trame (« ce sont les petites choses qui me touchent » aime souvent à dire Marianne), nous prendrons pour point de départ de notre réflexion une oeuvre tirée de sa série de peintures sur toile intitulée L'Or du temps.

Dans une oeuvre comme L'Or du temps, donc, que voyons, d'abord, sinon l'expression d'un accord coloré complexe qui n'est pas sans rappeler les toiles les plus lyriques de Kandinsky.Toutefois, à mesure que nous laissons notre oeil pénétrer d'avantage dans les méandres de cette composition, toute une multitude de figures se met à émerger hors du chaos coloré.

Le colosse d'argile - Marianne Le VexierL'or du temps - Marianne Le Vexier

Ce que nous avions pris, au premier abord, pour une simple tache de couleur, devient alors tantôt la silhouette d'un homme, tantôt le profil d'un poisson, tantôt l'envol d'un oiseau. En somme, à mesure que nous prenons le temps de la contemplation, le mirage de l'abstraction cesse et celui de la narration commence. C'est ainsi qu'en lieu et place d'une toile « agréable à regarder » nous avons soudain un tableau qui tient tout autant, dans sa simplicité, des figures rupestres de l'art pariétale, que de la profusion mystique des toiles flamandes de la renaissance. Et c'est à ce titre, d'ailleurs, que les toiles de Vexier me semblent les plus bouleversantes. Car à l'instar d'un peintre comme Bosch ou comme Bruegel, ce qui s'agite comme langage, dans ces toiles, ne renvoie jamais seulement à une « idée » – que le langage dont je me sers (en tant que critique) pourrait me permettre de saisir avec clarté et simplicité – mais toujours à quelque chose qui l'excède et qui le repousse aux limites de son propre pouvoir. Comme l'exprimait avec beaucoup de justesse Michel Foucault2 à propos de l'art visuel du haut moyen-âge :

« Libérée de la sagesse et de la leçon qui l'ordonnait, l'image commence à graviter autour de sa propre folie. Paradoxalement, cette libération vient d'un foisonnement de significations, d'une multiplication du sens par lui-même, qui tisse entre les choses des rapports si nombreux, si croisés, si riches, qu'ils ne peuvent plus être déchiffrés que dans l'ésotérisme du savoir, et que les choses de leur côté se surchargent d'attributs, d'indices, d'allusions ou elles finissent par perdre leur figure propre » (Histoire de la folie).

1. Par le terme « dialogique », le théoricien russe Bakhtine (1895-1975) étend désigner tout type d'oeuvre dans lequel coexistent, sur un pied d'égalité, plusieurs types de discours. En ce sens, le concept de dialogisme est à rapprocher de celui de polyphonie ou d'intertextualité.

Frédéric-Charles Baitinger

Artiste

Marianne Le Vexier est une artiste française.

www.marianne-le-vexier.com/