L'ombilic du rêve

Tout rêve a au moins un endroit, en lequel il est insondé, à la façon d'un ombilic, par lequel il adhère à l'inconnu.
Sigmund Freud

Né à Stockholm, en 1963, l'art de Nordström possède, de manière incontestable, une qualité dont la modestie apparente ne fait pas recette dans le monde de l'art. Que ce soit dans la forme de ses figures (à la fois simples et précises), dans la manière d'aborder l'art de la composition (sans profondeur), son oeuvre ne peut manquer de nous ramener du côté de l'art brut (et de James Caslte), de l'art folklorique, de l'art rupestre même, bref, de toutes les formes d'arts dites « non-savantes ». Et pourtant, envers et contre cette apparente simplicité, une chose demeure : Jockum Nordström est, non seulement, un artiste dont la culture artistique, poétique et littéraire, est immense, mais, aussi, un être dont la profondeur de pensée n'a d'égale que le sérieux et la lenteur avec laquelle il aborde son travail.

"Quand je crée une composition, je suis toujours profondément lent et sérieux. La lenteur et le sérieux sont des notions absolument fondamentales pour moi. Même si cela peut sembler paradoxal – puisqu'au final, je ne peux pas dire que je contrôle ce que je produis – seule la lenteur, la lenteur vécue comme sérieux, me donne la possibilité de pouvoir descendre en moi-même. C'est pourquoi j'ai besoin d'être seul quand je crée1."

Mais que désire, exactement, nous montrer ce peintre-poète ? En direction de quel inconnu sa primitivité s'avance-t-elle ? A cette question, nous ne pouvons répondre simplement. Car la naïveté apparente des oeuvres de Nordström, loin de n'être que l'expression spontanée de sa psyché, reflète bien plutôt son désir – de part en part conscient - d'atteindre à ce qu'il y a de plus profond. C'est pourquoi, plutôt que d'essayer de ranger cette oeuvre dans un petit compartiment de l'histoire de l'art (art brut, art folklorique, surréalisme), sachons, à notre tour, faire preuve de primitivité et nous laisser surprendre par ce que cet univers possèdent d'actuellement dérangeant. Car derrière la simplicité des formes qui le peuplent et l'obscure fragmentation de leur narration, ce n'est rien moins qu'à une véritable méditation visuelle sur la possibilité de saisir le temps (de l'enfermer dans le fil d'une narration) que nous convie cet artiste des profondeurs.

« J'ai toujours aimé dessiner des figures – des hommes, des femmes, des enfants, des animaux (qui sont, pour moi, tout autant des personnes). Tout mon travail tourne autour de cela. Autour de ces personnages et du drame qu'ils vivent. Je conçois ma peinture comme un théâtre – à l'exception près que le drame, le récit, l'histoire, que mes peintures mettent en scène, ne répond à aucun scripte, à aucune théorie, à aucune histoire précise. »

Dans une toile comme Child of Nature, par exemple, ce qui nous est raconté ne nous est pas donné directement: les personnages ne sont jamais en interaction directe les uns avec les autres. Ils n'évoquent pas non plus des moments d'une histoire, d'un conte, ou d'une allégorie. Non, ils nous invitent, plutôt, à imaginer, dans l’intervalle fertile de leurs discordances, l'ébauche d'autres récits – récits virtuels, fragiles, troubles, cassants (à peine entrevus que déjà disparaissant), et dont la trame lyrique se confond avec l'accouplement inconscient d'images en apparence non concordantes : image d'un élan, courant dans la lande, et d'un jeune homme, le torse nu et brandissant un bâton; ou bien, encore, image d'une femme, jouant avec son chien, et image d'un cerf, marchant dans un sous-bois. Autrement dit, à l'instar d'un ombilic du rêve, les toiles de Nordström se tiennent au point exacte où le monde des symboles s'abouche à celui de l'inconscient :

« Mon travail traite de la mémoire, du rêve, et du fait que ces deux termes signifient, en fin de compte, la même chose. Pour moi, l'art est une thérapie. Il me permet de descendre en moi-même. De donner la parole à une voix qui, d'ordinaire, est vouée au silence. »

Frédéric-Charles Baitinger