Ghasem Hajizadeh

L'envol du Simurgh

La fantaisie de l’artiste est sa terre d’exil ; son œuvre, l’espace fantomatique sur lequel vient se réfléchir son identité. Ne demandez pas : d’où vient Ghasem Hajizadeh, mais quel est l’Iran mythique que sa peinture déconstruit ; à quel « mundus imaginalis », à quel orient prophétique son âme appartient-elle ? Car l’Iran d’Hajizadeh n’est pas de ce monde. Il est une patrie mentale, un lieu symbolique, un univers à mi-chemin entre la réalité la plus dur et le rêve le plus fantasque.

L'envol du Simurgh

"Les souvenirs sont parfois l’identité des étrangers. Mais le temps s’unit aux souvenirs. Il enfante des réfugiés que le passé abandonne et laisse sans souvenir. Te souviens-tu de nous ?"
Mahmoud Darwich

Mêlant, avec science et malice, toutes les racines de sa culture – de la tradition savante à l’art populaire – l’œuvre de ce peintre est en elle-même une synthèse : elle unifie en une même forme plastique (héritée de la dynastie des Ghajars) ce qui, dans le réel se rejette ou se contredit. Voilà peut être pourquoi l’oeuvre de cet artiste – en sa totalité - constitue un document unique pour qui veut pénétrer à l’intérieur des contradictions de l’âme perse.

Expulsé de son pays pour n’avoir pas supporté activement la république islamique, Ghasem Hajizadeh ne s’est pourtant jamais considéré comme un opposant politique. Bien au contraire, n’ayant d’autre patrie que sa culture et son peuple, son œuvre condense et sanctifie son exil ; elle lui donne l’opportunité de réinventer son histoire ; de mettre à jour ses non-dits. Tout y est : célébrités, saints, martyrs, hommes politiques, guérilleros, et même aussi – nous n’inventons rien - l’image de ces femmes à moustaches exhibant leur attribut viril comme le plus sûr atout pouvant leur garantir un bon mariage.

Princesse Taj Al-Saltané - Ghasem Hajizadeh

Prostituée iranienne - Ghasem Hajizadeh

Mais c’est sans doute la princesse Taj Al-Sultana - figure tutélaire de cet espace onirique - qui représente la clef de voûte de cette oeuvre. Fille de prince, courtisane, et femme du monde, elle fut la première à parler ouvertement, dans ses mémoires, de la condition des femmes en Iran ; de leur vie en noir et de leur mort en blanc. Usant de sa parenté avec le Sha Nasir Al-Din, elle prit faîte et cause contre le voile, divorça d’un mari qui voulait l’empêcher de voyager en Europe. Elle fut le symbole du syncrétisme et de l’ouverture. Elle fut le symbole de l’espoir.

Voilà pourquoi l’œuvre de Ghasem Hajizadeh représente, pour nous, le sourire de l’âme perse et l’écho du rire de Zaraostre. Elle est cette gaya scienza dont parle Nietzsche, ce gai savoir sans lequel les souffrances et les contractions du monde nous plongeraient dans le désespoir. Et si la peinture d’Hajizadeh n’était que le signe de cette victoire ? L’annonce d’un temps nouveau qui, tel le Simurgh – l’oiseau sacré de la mythologie Perse - s’élèverait lentement au-dessus des siècles et des modes en nous redonnant l’envie d'être libre.

Frédéric-Charles Baitinger

Artiste

Ghasem Hajizadeh est un artiste iranien qui vit et travaille à Paris.