Henri Rousseau

Le théâtre du monde

Si, comme le voulais Kierkegaard, la modernité se caractérise d’abord par son manque de probité , il serait bon d’exclure le dit douanier Rousseau de cette époque frivole et confuse, pour le rendre au sérieux qui lui permit de créer une œuvre - singulière et profonde - en contradiction complète avec les exigences de son temps. Insensible aux multiples « ismes » qui absorbèrent les forces créatrices de sa génération (qu’on pense ici à l’impressionnisme, au symbolisme, au fauvisme, au cubisme et que sais-je encore…) cet autodidacte de génie n’eut de cesse, sa vie durant, de plonger en lui-même pour retrouver les impressions qui illuminèrent son enfance

Digne héritier des récits mythiques de Daniel Defoe (Robinson Crusoé) et de Chateaubriand (Atala et René), l’œuvre d’Henri Rousseau s’inscrit dans le prolongement de ce drôle de dix-huitième siècle qui, envers et contre son penchant pour le rationalisme, s’abandonna – avec une joie secrète – au plaisir de la fable et de la métaphore. Plus proche, en cela, d’un Jérôme Bosch ou d’un Bruegel que des peintres naïfs de son époque, Rousseau fut, d’abord et avant tout, un peintre capable de penser par images et de traduire en scènes, les récits poétiques que lui dictait son inspiration.

Que ce soit dans cette toile de « jeunesse » - Promenade dans la forêt - ou bien dans cette autre, plus connue - La charmeuse de serpent - une même atmosphère de rêve donne aux personnages, aux arbres et aux animaux qui les composent, une sorte de présence magique – comme si, à force de simplicité et de candeur, Henri Rousseau avait su retrouver un secret visuel qu’aucun autre peintre avant lui, n’avait su rendre apparent.

« Ce n’est pas moi qui peints, mais quelque chose au bout de ma main . »

Mais, à la force ensorcelante de son style, il faut encore ajouter l’incroyable sureté avec laquelle Henri Rousseau manipule les symboles et les figures qui peuplent ses toiles. Que ce soit l’omniprésence de la forêt ou de la jungle, ou bien encore la présence récurrente de femmes ou d’animaux sauvages : dans leur interdépendance, tous ces éléments forment un système de signes capable de nous faire percevoir visuellement des idées ou des sentiments d’une justesse et d’une profondeur confondante. Mais plutôt que de nous contenter d’affirmer une telle idée, tentons, par l’exemple, d’en montrer le bien fondé, et par là-même, la pertinence.

La charmeuse de serpent - Henri Rousseau

« Les images nous serviront à signifier ce qui ne doit pas être profané. »

Surpris ! - Henri Rousseau

Si la forêt représente, dans l’imaginaire occidental, le lieu par excellence du non droit et de la sauvagerie, elle n’en reste pas moins aussi le topos par excellence de tous les paradis perdus. Or, n’est-ce pas entre ces deux extrêmes qu’oscille l’œuvre du douanier Rousseau : tantôt hantée par l’appel d’un bois sombre à la tombée de la nuit - Un soir de carnaval - tantôt éblouit par la richesse chromatique d’une flore abondante, elle semble pourtant vouloir s’accomplir dans cette entre-deux impossible - Surpris ! où se rencontre ces deux mondes.

Ni vraiment menaçante, ni tout à fait docile, la jungle, ici, s’embrase de lumière et devient vivante. Terrifié, un tigre prend conscience de lui-même à mesure que se paralyse en lui la force de son instinct. Mais le plus surprenant reste, peut-être, l’étrange similitude qui existe entre le contenu de cette œuvre et le récit mythique qui ouvre la Scienza Nuova de Giambattista Vico : « Alors, un jour, le tonnerre éclata dans le ciel qui se zébra d’éclair pour la première fois depuis le déluge et c’est alors que quelques uns d’entres les géants (…) épouvantés et stupéfaits devant ce phénomène dont il ignorait la cause, levèrent les yeux et aperçurent le ciel . »Et c’est ainsi que commença – par l’éclair et la terreur - l’épopée de la conscience humaine et le lent cheminement de l’homme hors des bois…

En guise de conclusion, nous serions tenté de dire que si la profondeur d’une œuvre se mesure au degré de simplicité avec lequel elle nous conduit au cœur des problèmes les plus « sérieux » de la vie humaine, alors l’œuvre d’Henri Rousseau est un abyme : une porte ouverte sur le mystère de la conscience et son possible éveil.

Frédéric-Charles Baitinger

Artiste

Henri Rousseau est un artiste français.

fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Rousseau