Peggy Guggenheim

Gertrude et Léo Stein, Alfred Barnes, Peggy et Salomon Guggenheim.

En marge des institutions qui, à l’instar de l’oiseau de Minerve, ne prirent conscience de la valeur des avant-gardes qu’à l’instant de leur crépuscule, se joue quelque chose comme une une histoire d’amour entre des artistes à la production « boiteuse » et de grands collectionneurs. Gertrude et Léo Stein. Alfred Barnes. Peggy et Salomon Guggenheim. A eux seuls, ces noms forment la liste des Saint patrons qui veillèrent sur le destin de l’art moderne. Mais qui furent ces personnalités « hors-norme », ces grands bourgeois à l’esprit fêlés qui surent mettre la puissance du capitalisme – et ses richesses immenses - au service de la création et de ses authentiques apôtres ?

L’art moderne et ses grands collectionneurs

« Comme alors ces tableaux n’avaient pas de valeur et qu’il n’y avait aucun avantage social à connaître aucune des personnes présentes, ne venaient que les visiteurs sincèrement curieux de peinture. »Gertrude Stein

L’histoire commence avec l’arrivée des Stein en Europe. Léo a vingt six ans. Sa sœur Gertrude à peine vingt. Et pourtant, en l’espace de quelques années, la maison de ces deux américains va devenir le refuge de Matisse et de Picasso, de Braque et de Rousseau, d’Apollinaire et de Marie Laurencin. Au 47 rue Fleurus, ce n’est pas seulement les œuvres des plus grands artistes de l’art moderne qui se trouvent réunies, mais l’esprit même d’une époque, d’une lignée, d’une fratrie. En moins d’une décennie, les Stein vont faire de leur atelier le point de ralliement d’une génération de génies au nom encore inconnus.

« Comme c’est drôle, tous ces gens que j’ai connus quand ils n’étaient rien, maintenant les journaux en parlent tout le temps et l’autre soir, à la radio, j’ai entendu le nom de M. Picasso. On parle même dans les journaux de M. Braque, qui accrochait pour nous les grands tableaux, parce qu’il était le plus fort de tous, pendant que le concierge enfonçait les clous, et est-ce incroyable, on met au Louvre, au Louvre, un tableau de ce pauvre petit M. Rousseau, qui était si timide qu’il n’osait même pas frapper à la porte.»(Gertrude Stein)

Peggy Guggenheim - Peggy Guggenheim

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. En 1912, alors que la collection des Stein est déjà largement constituée, le richissime Alfred Barnes –self made man excentrique et éclairé (disciple de William James et de John Dewey) – débarque à Paris sur les conseils du peintre Glackens. Léo présente à Barnes le galeriste Vollard. Barnes est sous le choc : il achète des tableaux par dizaines. Des Cézanne, des Van Gogh, des Picasso, des Renoir, des Maurice Denis, des Matisse, des Gauguin, des Bonnard. En quelques années, la collection Barnes devient l’une des plus importante collection d’art moderne. Mais c’est en découvrant la peinture de Soutine que Barnes perd définitivement la tête et cède complètement à son penchant de collectionneur. Il déclarera au galeriste Paul Guillaume qui le premier lui présenta une toile de Soutine : « Voilà le grand peintre que je cherchais depuis longtemps. J’achète tout!»

Gertrude Stein - Gertrude Stein

Mais c’est peut-être avec la figure de Peggy Guggenheim - « la grande prêtresse de l’avant-garde » - que s’incarne avec le plus d’éclat le lien quasi fusionnel qui unit tout grand collectionneur aux artistes qu’il collectionne. Car nulle autre que Peggy ne mêla avec autant d’intensité sa vie intime et sa vie de collectionneur. Elle fut tour à tour amoureuse de Beckett, de Duchamp de Brancusi et de Max Ernst. Mais elle fut aussi l’amie intime de Man Ray, de Calder, de Picasso et d’André Breton. C’est d’ailleurs sur les conseils de Marcel Duchamp que Peggy se lança dans le dur métier de galeriste. L’échec fut complet – sauf sur un point. Afin de supporter les artistes qu’elle présentait, Peggy devint, sans le savoir, l’une des plus grandes collectionneuses de l’avant-garde européenne.

Voilà pourquoi, peut-être, c’est au grand critique d’art Clément Greenberg, que revient le privilège d’énoncer la vérité la plus simple et la plus profonde sur cette étrange créature que fut Peggy – cette « Ultima Dogaressa » : « son goût n’était pas toujours sûr et judicieux, mais elle sentait ce qui était vivant ; elle possédait une sorte de flair pour la vie qui lui faisait reconnaître ce qu’il y avait d’authentique conviction dans un tableau. » Son flair, en tout cas, lui permit de célébrer Jackson Pollock comme étant le plus grand peintre après Picasso et de dire, dans le même temps, au célébrissime Andy Warhol patientant à l’entrée de son Palais de Venise – sur un ton sec et sans complaisance : « allez-vous en ! Je n’aime pas le Pop Art ! ».

Frédéric-Charles Baitinger

Artiste

Peggy Guggenheim est une collectionneuse américaine.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Peggy_Guggenheim

Gertrude Stein est une écrivain et collectionneuse américaine.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Gertrude_Stein