De l'autre côté du miroir

« C'est à dessein que j'ai parlé d'inconscient du poème, et non d'inconscient du poète. Je veux dire par là que l'oeuvre d'art – comme, peut-être, toute action – possède sa vie propre, son âme propre; qu'en d'autres termes, le symbole, sitôt émergé, par la compulsion d'association juxtapose de nouveaux symboles qui deviennent le matériau du poème. Il ne reste pour l'activité consciente du poète que le façonnement de la forme. » G. Groddeck,La maladie, l'art et le symbole.

Pratiquant la peinture comme d'autres s'adonnent à la médiation ou à la prière, l'oeuvre de Mike Worrall demande, à quiconque désire en saisir le sens, de savoir, en lui, faire silence. Autrement dire, de savoir, pour un instant au moins, ne pas réduire ce qu'il voit à ce que le langage peut en dire. Car sans un tel suspend préalable – sans une telle époké – un voile de mystère ne manquera pas de venir envelopper ce qu'il contemple.

« J'ai la ferme conviction que je ne dois pas expliquer mes toiles aux gens qui les regardent. C'est au contraire leur mystère qui doit pouvoir retenir leur attention.»

Devant un tel mystère, certains critiques avisés ne manqueront pas de s'écrier : Mike Worrall est un surréaliste ! Un disciple de Delvaux, de Max Ernst, Magritte et de Chirico. Et, en un sens, ces critiques auront raison. Mais qu'auront-ils gagné à classer si rapidement ces oeuvres dans une telle catégorie, sinon le triste privilège d'avoir donné un nom à leur mystère et, par conséquent, d'être passé à côté de ce qui en fait l'intérêt propre. A savoir : d'ouvrir, au coeur même du visible, une porte nous donnant directement accès à l'inconscient.

« Je m'intéresse aux rêves et aux pensées subconscientes, et sans doute plus encore, à la manière dont nos pensées s'enchainent comme un bateau dérive sur la mer... »

Osons donc, à notre tour, dériver – tel un bateau ivre – à la surface de ces peintures. Osons nous laisser chavirer par leurs superpositions loufoques, nous faire surprendre par leurs anomalies subtils; oui, laissons leur la possibilité de venir nous susurrer à l'oreille que la réalité n'a jamais eu d'autre consistance que celle d'une hallucination. Car c'est à ce prix – et à ce prix seulement - que nous pourrons peut-être entendre, envers et contre le scepticisme de notre conscience, ce qu'ont d'absolument fondamental à nous dire, ces oeuvres.

« Je suis un peintre intuitif. Si mon travail ne repose pas sur une solide intuition, je ne peux plus progresser. Mais c'est là quelque chose de normal me direz-vous. Tous les artistes sont intuitifs. N'est-ce pas ? »

Mais quelle est cette intuition sur laquelle reposent les peintures de ce poète ? A cette question, nous ne saurions apporter de réponse catégorique. Mais rien ne nous empêche, pour autant, d'en tirer une réflexion philosophique : et si, à l'instar des théologies négatives, Mike Worrall nous proposait d'atteindre, par le biais de l'image, ce qui par essence excède sa matérialité. A savoir : ce qui se tient par-delà le voile des apparences – dans l'éternité.

«On pourrait dire que le subconscient est le lexique individuel où chacun de nous accumule le vocabulaire de son histoire personnelle, mais que ce vocabulaire n'acquiert de signification, pour nous même et pour les autres, que dans la mesure où l'inconscient l'organise suivant ses lois, et en fait ainsi un discours. » Claude Lévi-Strauss, L'efficacité symbolique.

Frédéric-Charles Baitinger