Néo Rauch

Per Monstra ad Astra

Quoi de plus déstabilisant que d'oser se perdre dans les toiles de Néo Rauch ? Mais quoi de plus intéressant aussi ! Car ces toiles ne réclament pas seulement d'être regardées longtemps, mais d'être regardées avec la volonté ne pas réduire leur continu signifiant à des stéréotypes de langage. Analphabétisme de l'image. Présent mouvant. Devant chaque oeuvre de ce peintre, la parole de l'interprète se heurte à son propre silence. Et plus encore, peut-être, à cette expérience limite qui l'ouvre sur une scène ne connaissant ni avant ni après, ni cause, ni effet – mais où chaque figure, chaque lieu et chaque geste n'acquiert un sens qu'à l'instant même où celui qui les contemple accepte de renoncer à la préséance du discours pour voir en eux comme une sorte de mémoire au travail.

Per Monstra ad astra

« Il faut descendre dans les profondeurs de la nature pulsionnelle, où l'esprit humain épouse la matière sédimentée de façon non chronologique. Seule une telle immersion permet de distinguer la frappe qui donne leur empreinte aux valeurs expressives de l'émotion. » Aby Warburg

Orphelin à l'âge de quatre semaines, Néo Rauch a grandit sous la tutelle de ses grands parents, derrière le rideau de fer, en ex RDA. Il fait donc parti de cette génération d'artistes d'Europe de l'est qui n'a pas connu ce que nous avons pris l'habitude d'appeler « l'art contemporain ». Ou du moins, s'il la connu, il ne l'a connu que de loin et tardivement. C'est pourquoi d'ailleurs, Néo Rauch se définit d'abord lui-même comme étant un peintre de la modernité, c'est-à-dire, comme étant un peintre ayant forgé son style au contact des oeuvres de Chirico, de Courbet, de Balthus et de Beckman et, bien entendu aussi, des oeuvres néo-réalistes caractéristiques de la propagande communiste. Mais à cette double filiation, il faut encore ajouter quelque chose d'absolument essentiel, qui ne relève – cette fois - d'aucune influence extérieur.

Si les commentateurs de Néo Rauch hésitent à classer ce peinture dans le surréalisme, ce n'est que dans l'exacte mesure où ils hésitent aussi à le considérer comme un peintre d'histoire. Ni réaliste, ni surréaliste, il nous semble plutôt que les peintures de Néo Rauch souffrent de réminiscences. Qu'elles coagulent, en un seul espace mnémonique, des temps et des actions qu'aucune visée consciente ne vient lier entre elles. Scènes pathétiques d'une mémoire grevée d'absences, ces toiles nous confrontent à ce qu'il y a de plus complexe dans la psyché humaine. Elles nous confrontent à ce qu'Aby Warburg appelait la « dialectique du monstre » (Dialektik des monstrums), autrement dit, à cette faculté qu'ont les images, parfois, d'être structurées comme des symptômes.

« Le processus de ma peinture est comme une partie d'échec qui je joue contre moi-même. Quand ma raison me dicte un geste, l'autre que je fais n'est n'est dû qu'au hasard – si tenté qu'une telle chose existe. » Néo Rauch

Sans nom - Néo RauchSans nom - Néo Rauch

Images-souvenirs ou souvenirs-écrans, chaque toile de Néo Rauch nécessite, pour être comprise, de faire l'objet d'une interprétation. Bien entendu, cette interprétation ne peut en aucun cas subsumer sous un concept la prolifération des plans et des intrigues qui se déroulent en un même espace temps, mais elle peut, en revanche, tenter de tisser des liens entre ces différents ensembles, de manière à en faire ressortir le contenu latent. Dans une oeuvre comme Kalimuna, par exemple, il est bien clair que la complexité des événements qui s'y passent nous interdit d'en donner une description complète et cohérente. En revanche, nos pouvons essayer d'en articuler le sens en prenant pour point de départ le mot Kali, qui désigne, dans la mythologie indienne, la déesse du temps, de la mort et de la délivrance.

Or, que voyons-nous dans cette oeuvre sinon l'image même de l'Histoire, si tenté que par ce terme nous ne fassions par référence à un récit linéaire qui nous conduirait des peuples primitifs jusqu'au règne de la raison, mais au contraire, à un récit brisé, claudicant, et n'ayant pour seul dessein que celui de nous faire percevoir à quel point l'âme humaine charrie – quelques soient les époques dans lesquelles elle vit – une même impossibilité à vivre dans la lumière. Si nous tentons maintenant, avec les armes fragile de notre langue, de reconstituer les fragments épars de cette images, voici l'étrange récit que nous pourrions en faire : Tendis que deux hommes mettent à mort un satyre et que d'autres portent sur leurs épaules la statut d'une déesse ressemblant à Athéna, une femme (serait-ce la déesse Kali ?) tient dans sa main gauche une pie et dans celle de droite, un homme nous désignant à l'aide de son épée la table d'un marchand d'arme, de pierre précieuses, et de carte postales. Autrement dit, si tenté que nous ayons raison de voir dans la figure de la femme se tenant au premier plan, une représentation de la déesse Kali, cette image semble vouloir nous indiquer qu'au coeur même de notre modernité, survivent les gestes et les idoles des époques les plus reculées de l'histoire humaine. Per monstra, ad astra.

Frédéric-Charles Baitinger

Artiste

Néo Rauch est un artiste allemand.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Neo_Rauch