François Bard

Le dernier Homme

L'étranger, le braconnier, le voyageur, le solitaire, le rêveur... tels les esclaves de l'antiquité romaine, les personnages que hantent l'univers de François Bard ne possèdent aucune identité sociale. A la lettre il ne sont personne. Ce sont des quasi fantômes. Des spectres, des parias. Oui, d'un certain point de vue, les êtres que peint François Bard n'existent pas. Oui, mais voilà : ce qui vaut du point de vue du droit ne vaut pas du point de vue de l'art. Car le rôle de l'art est justement de savoir donner un visage à celui qui n'en a pas. Et François Bard a ce don là.

Le dernier Homme

"Le visage est signification, et signification sans contexte. Je veux dire qu'autrui dans la rectitude de son visage, n'est pas un personnage dans un contexte. D'ordinaire, on est un "personnage" : on est professeur à la Sorbonne, vice-président du Conseil d'Etat, fils d'un tel (...) Ici, au contraire, le visage est sens à lui seul. Toi, c'est toi. En ce sens, on peut dire que le visage n'est pas "vu". Il est ce qui ne peut devenir un contenu, que votre pensée embrasserait ; il est l'incontenable, il vous mène au-delà."Emmanuel Lévinas, Ethique et infini.

Le visage d'un homme n'apparaît qu'à l'instant où sa vulnérabilité nous touche. C'est pourquoi le visage ne désigne pas forcément le sommet d'un corps – mais n'importe quelle partie d'un être susceptible de nous toucher. Le visage, c'est le corps de l'autre en tant que son corps nous appelle; qu'il nous fait signe; qu'il nous interpelle du fond de sa détresse - du fond de son anonymat. Pourquoi s'étonner, dès lors, de voir autant de détails s'afficher comme ayant valeur de portrait dans l'oeuvre de François Bard ?

La nuque rasée du prisonnier. Le t-shirt couvert de ciment du maçon, les mains ou les lèvres de l'orateur. Quelque soit le sujet ou la figure abordée, Bard choisit toujours de peindre le détail exprimant avec le plus d'efficacité, non pas la singularité d'un être, mais la tension ou la détresse d'un corps. Autrement dit, l'endroit exacte à partir duquel le visage de l'autre peut enfin venir à notre rencontre. Non plus sous les traits d'une personne particulière, mais sous ceux, plus élémentaires, d'un être encore à demi plongé dans le noir.

Love and Hate - François BardTorse - François Bard

Figures d'ombres, convoquant notre responsabilité, ces portraits d'anonymes – ces anti-portraits – n'acquièrent leur pleine existence qu'à l'instant où nous acceptons de leur prêter, ne fussent que quelques secondes, notre propre identité. Jouant avec nous au jeu du miroir, nous ne pouvons nous empêcher de poser à ces figures tronquées : « Qui es-tu, toi que je ne vois pas, sinon moi-même ? » Et s'il fallait divaguer plus encore, et prêter une voix à ces anti-portraits, ce serait peut-être celle que Maurice Blanchot donna à ce drôle d'homme qu'il nomma : le dernier homme. Ecoutons le.

« J'étais là, non pour le voir, mais pour qu'il ne se vît pas lui-même, pour que, dans le miroir, ce fût moi qu'il vît, un autre que lui – un autre, un étranger, proche, disparu, l'ombre de l'autre rive, personne – et qu'ainsi il demeura homme jusqu'à la fin1.»

Car demeurer homme, c'est d'abord et avant tout demeurer conscient de l'autre. Et par conscient de l'autre il faut entendre : demeurer constamment disponible à son appel. Laisser parler son silence. Mais n'est-ce pas là précisément ce que nous invitent à faire les oeuvres de François Bard ? Ne sont-elles pas, chacune à leur manière, cet appel des ténèbres à la lumière; cette voix qui criait dans le désert et que seuls entendent les âmes sensibles au monde – et à la beauté de ses couleurs ?

Frédéric-Charles Baitinger

Artiste

François Bard est un artiste français.

www.francoisbard.fr