Bruno Pontiroli

L'image stupéfiée

Un avion s'écrase sur un nuage; des bonhommes de neige, à l'aide de flocons de chair, modèlent un corps humain : à l'instar des stupéfiants, l'image, dans l'oeuvre de Bruno Pontiroli, a pour fonction d'affoler l'imagination – de renverser la vision utilitaire et bornée que nous nous faisons du monde. Images stupéfiées, tirant leur pouvoir des paradoxes qu'elles contiennent, c'est au Surréalisme et à L'interprétation des rêves de Freud qu'il faut se reporter pour comprendre la logique qui les sous-tend. Car entre ce qu'elles nous montrent (leur contenu manifeste) et ce qu'elles expriment implicitement (leur contenu latent), se tient le mystère sur lequel se fondent leurs paradoxes; mystère qui tient tout autant aux déplacements qu'elles opèrent de manière consciente, qu'aux processus de conversions et de condensation qui, ceux-là, ne peuvent être qu'inconscients.

L'image stupéfiée

« Le vice appelé Surréalisme est l’emploi déréglé et passionnel de la stupéfiante image, ou plutôt de la provocation sans contrôle de l’image pour elle-même et pour ce qu’elle entraîne dans le domaine de la représentation de perturbations imprévisibles et de métamorphoses : car chaque image à chaque coup vous force à réviser tout l’Univers.»Louis Aragon

On peut généralement classer les productions artistiques selon deux grands genres : le premier, l'art lyrique, se fonde sur la singularité de l'artiste qui le crée, sur son expérience émotionnelle du monde; l'autre, l'art conceptuel, évince l'émotion pour ne garder, dans ses créations, que les fruits de son intelligence. Or, relativement à ces deux extrêmes, Bruno Pontiroli se tient exactement au milieu : trop intellectuel pour être un artiste lyrique, trop proche de son inconscient pour être un artiste conceptuel, son oeuvre opère une synthèse dans laquelle émotion et intelligence ne s'opposent plus mais travaillent main dans la main au service d'une dialectique des intensités.

Comme le dit le poète et théoricien du Surréalisme Pierre Reverdy, si l'image, à la différence du discours littéraire, ne peut reposer sur une comparaison, elle peut, en revanche, rapprocher dans un même espace deux réalités que tout oppose. Et dans ce rapprochement paradoxal, dans ce montage de formes contraires, ce qui donne alors à l'image sa « beauté » ne réside plus dans ses formes et ses couleurs, ni moins encore dans la manière dont elle traite son sujet, mais dans la qualité plus ou moins explosive du rapprochement qu'elle opère. Or, cette qualité « explosive » de l'image – qualité qui fonde son intensité – ne peut naître qu'à la condition qu'elle soit capable de réunir en un tout cohérent ce que la logique ordinaire tend à maintenir séparé.

Sans titre. - Bruno PontiroliSans titre - Bruno Pontiroli

C'est ainsi que dans son oeuvre La nature double, Bruno Pontiroli a su judicieusement associer le corps d'une femme obèse à celui d'un poisson (rapprochement qui tient sa cohérence d'une ressemblance formelle, et sa qualité « explosive » du lien qu'il crée entre le monde animal et le monde humain), mais qu'il a aussi doublé ce rapprochement d'un jeu sur la pesanteur qui donne à la lourdeur du corps de la femme sa part de grâce (elle marche, comme le Christ, sur l'eau), et au corps du poisson son accent pathétique (le regard qu'il jette vers son ancien lieu naturel – la mer – nous rend sensible à l'horreur de sa situation). Autrement dit, la « beauté » de cette image ne tient pas tant à ses qualités plastiques (qui sont pourtant indéniables) qu'aux multiples jeux d'oppositions qu'elle met en scène et qui sont comme autant d'étincelles visuelles qui n'ont d'autre fin que d'exciter notre imagination.

Voilà sans doute la raison pour laquelle, envers et contre leur « absurdité », envers et contre les paradoxes et invraisemblances qui les composent, ces images n'en restent pas moins « compréhensibles » et « familières » – pour autant que par ces termes soit soulignée leur capacité à générer des idées purement visuelles. Car derrière les images de Bruno Pontiroli, ne se tient aucune idée abstraite. Ses oeuvres ne sont ni symboliques, ni allégoriques (ses paradoxes visuels ont leur réalité propre) mais réclament de nous que nous soyons capable de nous laisser traverser par leur lumière d'image et, plus encore, peut-être, de laisser notre cerveau se stupéfier au contact de leurs invraisemblances.

Frédéric-Charles Baitinger

Artiste

Bruno Pontiroli est un artiste français.

www.brunopontiroli.com/