Corinne Vilcaz

Le crédo des couleurs

Toute l'oeuvre de Corinne Vilcaz repose sur une structure paradoxale. De par ses fonds, et les courants colorés qui les composent, cette oeuvre appartient au mouvement de l'abstraction lyrique; autrement dit, à cette tendance de la peinture contemporaine qui n'a pas peur de renoncer à la souveraineté de l'intention (du vouloir-dire) pour gagner la possibilité d'un surgissement pur, d'une parousie, d'une incarnation. Tandis que de l'autre, c'est-à-dire, du côté des figures qui flottent à la surface mouvante de ses fonds, elle s'inscrit, avec une grâce toute particulière, dans le monde profane de la figuration. Et c'est à partir de cette scission, de ce chiasme, de cette ligne de fêlure, que peut être saisie, dans toute sa subtilité, la puissance de cette oeuvre bifrons.

Le crédo des couleurs

« Quand le mystère atteint les lieux, les objets ou les personnages familiers d'une histoire, tous les repères se mettent à vaciller. (…) Le vouloir-dire qui relie objets, lieux et personnages devient problématique, abyssal, ou aporétique. » Georges Didi-Huberman

D'un point de vue strictement visuel, Corinne Vilcaz est une poète de la couleur. Elle sait comment faire jouer ensemble les plus ténues différences de tons et de lumières; comment manier, avec une égale finesse, le pinceau, la brosse et la truelle; comment disposer, sur un axe tantôt horizontal, tantôt vertical, les masses, les couches et les épaisseurs. C'est là pourquoi, d'ailleurs, sa peinture pourrait être décrite comme une célébration des harmoniques secrètes qui gouvernent la matière. Car ce qui se donne en elle, ce qui vient immanquablement percuter l'oeil de ses spectateurs, c'est d'abord et avant tout un complexe de sensations – et non le sens de la structure paradoxale qui en soutient l'ivresse.

Toutefois, et bien qu'une telle lecture possède son inaliénable vérité, il n'en reste pas moins que l'oeuvre de Corinne Vilcaz chuchote aussi, à ceux qui, cette fois, ont des oreilles pour entendre, que toute beauté abstraite n'acquiert Village Haut perché - Corinne VilcazBlack Flowers - Corinne Vilcaz son sensvéritable qu'à partir du moment où elle est mise en relation avec les figures (ou leurs vestiges) qui la hantent et qui ne cessent de se déformer au contact de son inspiration. Car dès l'instant qu'une telle mise en relation n'est pas effectuée, ce n'est pas seulement la moitié de la force de cette peinture qui se perd, mais quelque chose comme sa destination anagogique, c'est-à-dire, sa vocation spirituelle.

Désirant, avant tout, libérer la figuration de ses attaches sensibles – pour mieux retrouver, dans un simple bouquet de fleurs, les traces d'une présence, d'une substance, d'un être, qui transcende, par définition, les bornes du visible même – l'oeuvre de Corinne Vilcaz est à la peinture abstraite ce que les scènes d'Annonciation furent à la peinture en perspective de la Renaissance, autrement dit, la tentative de donner corps, à même les vibrations de la matière, à cet instant fragile, impossible, innommable, d'une survenue du blanc pur – de la quintessence – à même les bégaiements d'une matière devenue lyrique. Et si, envers et contre sa pure beauté, l'oeuvre de cette artiste n'était qu'une hymne athée (et amoureuse de sa propre immanence) en l'honneur d'un Dieu inconnu et dont la forme informée se confond avec celle de la couleur pure ? A cette question ne peut répondre que le mouvement sincère de notre éblouissement.

Frédéric-Charles Baitinger

Artiste

Corinne Vilcaz est une artiste française

vilcaz.free.fr/