Marta Coulson

Paysages Célestes

Redonner à la visibilité pure son caractère « haptique 1», au désir de transcendance une figure qui soit à la hauteur de son objet : telle est l'ambition folle qui anime l'oeuvre de Marta Coulson, tel est est le souffle céleste qui la porte, tel est l'élan qui lui permet de faire des paysages qui forment le thème quasi exclusif de ses créations, non pas seulement des paysages de rêve, mais de véritables paysages en transe; des paysages nous donnant à voir l'invisible même.

Paysages célestes

« Malgré les apparences, il n'y a plus d'histoire à raconter, les figures sont délivrées de leur rôle représentatif, elles entrent directement en rapport avec un ordre de sensations célestes. » Gilles Deleuze

Eblouie, tantôt, par le mouvement d'une vague venant se briser sur le rivage, tantôt par les couleurs d'un ciel sur le point de se dissoudre dans la mer, ce qui fonde, en son essence, le travail de cette artiste, n'est pas tant la beauté des motifs qu'elle choisit de peindre ou de photographier (même si cette beauté est certaine) que la manière dont ces motifs résonnent en elle et lui donnent les nourritures célestes dont elle a besoin. Aimant, par dessus tout, se promener seule dans la campagne (l'oeil aux aguets et l'âme ouverte), s'il fallait donner une ascendance à cette artiste (la situer dans une lignée) ce serait d'avantage du côté des romantiques qu'il faudrait la chercher (et, plus particulièrement, du côté de leur vision de la nature et du sublime) que de celui de l'abstraction moderne (dont l'intellectualisme froid est aux antipodes de ce qui fait la moelle de cette oeuvre).

En effet, que ce soit dans ses peintures (qu'elle réalise une fois de retour dans son atelier) ou dans ses photographies (que ses cadrages et ses effets de flou rendent presque impossible à distinguer de ses peintures), ce qui frappe, au premier abord, ce n'est pas le caractère abstrait de ce qui est représenté, mais le fait que cette « abstraction » (qu'il faudrait plutôt nommer déformation) soit au service d'une force qui n'est, elle-même, qu'une expression de la nature dans sa totalité. A la fois paysage réel (la technique photographique en faisant preuve) et pur jeu de couleurs, ses oeuvres sont à la peinture de paysage ce que les peintures de Bacon sont à l'art du portrait; autrement dit, une manière de saisir, d'un point de vue strictement visuel, les jeux de forces (les courants d'énergies) qui font du monde un cosmos et non, comme le voulait Descartes, une simple « chose étendue ».

Aube - Marta Coulson

Pour être plus précis encore, il faudrait dire que Marta Jouffriault est une artiste sismographe. Car, tel un sismographe traçant sur le papier les imperceptibles tressaillements de la terre en ses profondeurs, ce que parvient à capter cette artiste n'est pas tant le mouvement de la visibilité pure (comme voulu le faire Cézanne), que l'effet que ce mouvement produit sur l'ensemble de sa conscience et, plus particulièrement, encore, sur ses couches les plus profondes. C'est là pourquoi ses oeuvres ne sont jamais la simple reproduction de ce que son oeil voit (impressionnisme) ni, non plus, la pure expression de son intériorité (abstraction lyrique), mais la fusion miraculeuse de ces deux pôles (un impressionnisme lyrique); fusion qui pourrait être comparée, dans sa structure, à la définition que Rimbaud donna de l'Eternité :

« Elle est retrouvée, Quoi ? L'Eternité. C'est la mer mêlée au soleil. »

La chair des couleurs

« Rien n'existe. Il n'y a aucune réalité en dehors des sensations. Les idées sont des sensations, des sensations de choses qui ne sont pas dans l'espace, parfois pas même dans le temps. »Fernando Pessoa

Si la pensée occidentale s'est construite autour d'une série d'oppositions (sujet-objet, dedans-dehors, continu-discontinu, etc.) qui n'ont de sens que par rapport à la structure de la langue dont elles ne sont qu'un reflet, que dire de la peinture de Marta Coulson sinon qu'elle repose toute entière, quant à elle, sur un désir de fusion qui n'est lui-même que le reflet de la structure de l'expérience « spirituelle » sur laquelle repose sa vocation. Refusant de donner aux paysages qu'elle capture les lignes et les contours qui servent d'ordinaire à en rendre lisible les formes, cette peintre-poète cherche plutôt à pénétrer, armée de ses seuls pinceaux, dans les profondeurs tactiles du monde – là où seule la couleur (en tant que pâte, que substance, que materia prima) est capable de descendre.

Sunset-2 - Marta Coulson

Car la couleur, à la différence de la ligne ou du trait, ne s'arrête jamais à l'aspect extérieur des choses, mais se dirige toujours droit vers leur ombre – là où la matière n'est plus seulement matière inerte (res extensa) mais matière ondulante, vibrante, chair en proie au changement. Or, c'est précisément vers ce changement, vers cet instant, vers ce nun, qui se dirige l'attention de Marta Coulson, c'est-à-dire, vers ce qui, dans un paysage, dans un objet, dans un phénomène, en compose comme la substance vivante. C'est là, sans doute, la raison pour laquelle chacune de ses toiles semble chargée d'une énergie, d'un frémissement, d'un mouvement que les effets de coulures et de transparences qui en composent la trame, ont pour charge de rendre.

Les figures du silence

La figure c'est la forme sensible rapportée à la sensation, elle agit immédiatement sur le système nerveux, qui est de la chair. Tandis que la forme abstraite s'adresse au cerveau, agit par l'intermédiaire du cerveau, plus proche de l'os. »Gilles Deleuze

S'il est vrai qu'en peinture rien n'est plus difficile que de parvenir à sortir de la figuration sans tomber, tout aussitôt, dans un formalisme creux (pour ne pas dire stérile), cette difficulté ne fait que croitre en intensité dès l'instant qu'en lieu et place des couleurs et des pinceaux, se tient un simple appareil photographique. Car à la différence de la peinture (dont l'essence ne repose pas tant sur l'imitation fidèle d'une portion d'espace que sur la souveraineté d'un geste), la photographie semble condamnée, quant à elle, à enregistrer de manière mécanique les effets de lumière qui viennent heurter son objectif. Et pourtant, envers et contre cette « condamnation » de principe, force est de constater que Marta Coulson, dans sa série de photographies de paysages (que ce soit celle nous laissant deviner des sous-bois ou celle nous permettant de rêver à des bords de mer) n'a pas seulement réussi à saisir l'essence d'un lieu ou d'une atmosphère, mais bien aussi à élever ces paysages au rang de ce que Deleuze nomme : une Figure.

Dans une oeuvre comme Début du printemps, par exemple, ce que nous voyons n'est ni un amas informe de lignes (ce qui aurait ramené cette photographie du côté d'une abstraction creuse), ni la simple représentation d'un arbres formant ses premières fleurs, mais la parfaite conjonction de ces deux polarités formelles; conjonction grâce à laquelle la beauté de ce qui est perçu ne réside plus seulement dans l'apparaître des choses (dans cet arbre-ci, dans cette fleur là), mais bien aussi dans leur capacité à venir frapper, en tant que pur forme, le système nerveux de celui qui les perçoit. C'est là pourquoi, peut-être, ces images, tout en étant dotées d'une envoûtante beauté, ne chuchotent pas à l'oreille de qui sait les voir, des histoires – mais, tout au contraire, un silence.

Début du printemps - Marta Coulson

Frédéric-Charles Baitinger

Artiste

Marta Coulson est une artiste franco-anglaise.