Edwige Fouvry

Les beautés du spéculaire

« Le regard par lequel j'identifie un objet, un visage, le mien, l'autre – me livre une identité qui me rassure : car elle me délivre des frayages, des frayeurs innommables, bruits antérieurs au nom, à l'image – pulsations, vagues somatiques, ondes de couleurs, rythmes, tons. »

Julia Kristeva

Edwige Fouvry

Les beautés du spéculaire


Entre la vision claire et ordonnée qu'impose à notre conscience l'usage de la langue (où chaque chose, chaque être, possède une forme et une identité stable) et l'éblouissement que produit sur notre rétine la saisit émotionnelle d'un monde en perpétuel métamorphose (et auquel renvoient les frayeurs de notre enfance) se tient, généralement, un écart, un vide, une béance. Et quiconque désire supprimer cet écart, surmonter ce vide, bâtir sur une telle béance s'expose au danger de voir sa santé mentale progressivement glisser dans les affres de la psychose.


Et pourtant, envers et contre une telle mise en garde, que dire des oeuvres de la jeune artiste française Edwige Fouvry sinon qu'elles se tiennent toutes sur la cimes d'une telle béance (où l'objet réel se change en hallucination et inversement), et qu'elles parviennent, avec une assurance plastique rare, à en saisir le paradoxe. Retournant, visuellement, en-deçà du « stade du miroir », c'est-à-dire, là où le monde perçu et le monde vécu n'ont pas encore fait l'objet d'une séparation, la peinture de Fouvry ne nous donne pas seulement à voir des visages ou des paysages, mais des signes devenus symptômes ou, pour reprendre une expression de Julia Kristeva : du spéculaire1.


Allongé - Edwige FouvryJesus et Judas - Edwige Fouvry

Plongeant ses pinceaux dans les tourbillons de son angoisse, Fouvry inflige à tout ce qu'elle peint les marques (les « traces lektoniques ») de son être-là. Dans un tableau comme Jésus et Judas, par exemple, ce n'est pas un moment de l'histoire biblique qui nous est donné à voir, mais le contenu émotionnel d'une trahison. Dans un autre comme Bébé, ce n'est pas l'image de l'innocence qui est représentée, mais la solitude effrayée d'un jeune nourrisson. Et, enfin, dans un paysage comme Le buisson, ce n'est pas une portions de nature qu'Edwige nous invites à contempler, mais l'envers sauvage d'une âme qui ne connaît pas de dehors.


Toutefois, à la différence des autres peintres contemporains qui s'occupent de « défiguration », les oeuvres de Fouvry possèdent ce « je ne sais quoi » en plus de poétique qui les empêche d'être, de part en part, de purs présentation de son angoisse. Plus douce, plus pures, plus innocentes, dans leur douleur, que ne le sont bien des oeuvres expressionnistes, elles susurrent, à l'oreille de qui les contemple, que le monde effrayant et magique de notre enfance n'est pas, pour un véritable artiste, un monde qu'il faudrait à tout pris effacer au nom d'un ordre symbolique plus rassurant – mais un monde qu'il est possible d’apprivoiser – et cela, quelqu'en soit la violence.


1. « Nommons donc spéculaire le signe visible qui appelle au fantasme parce qu'il comporte un excédent de traces visuelles, inutiles à l'identification des objets, parce que chronologiquement et logiquement antérieur au fameux « stade du miroir ». Cette information n'a plus trait au « référent » (ou à l'objet), mais à l'attitude du sujet vis-à-vis de l'objet, donc déjà à ce contrat désirant qu'est l'exprimable (le lekton des stoïciens), dont l'existence fait d'un signe (qu'est l'image) un symptôme (qu'est le spéculaire) ». Julia Kristeva, Ellipse sur la frayeur et la séduction spéculaire.

Frédéric-Charles Baitinger

Artiste

Edwige Fouvry est une artiste française. 

www.edwigefouvry.com/