Hieronymus Bosch
Le Jardin des Délices ou le règne de l'amour
Le Jardin des Délices est l'un des trois triptyques que Bosch n'a pas réalisé pour le compte de l'église catholique. Henri III, comte de Nassau, est son mécène le plus vraisemblable. Mais il est possible aussi que Bosch l'ait exécuté pour le compte d'une secte hérétique : la secte des Frères du Libre-Esprit. Or, pour cette secte gnostique, le mystère du salut ne résidait pas seulement dans la prière et la contemplation, mais dans l'accomplissement d'un nouveau culte Adamique capable de faire de l'union charnelle de l'homme et de la femme, le fondement d'un second paradis.
Le Jardin des Délices Ou le règne de l'amour
La sphère qui recouvre la face extérieure du triptyque est une image de la terre, au matin du troisième jour. Une étendue vallonnée et couverte de végétation y sépare les eaux d'avec les eaux, et chaque arbre selon son espèce y produit son fruit. Dieu, au sommet gauche du tableau, perdu dans les ténèbres de la nuit, contemple sa création. Mais, à la différence des peintures plus conventionnelles qui représentent généralement le récit de la Genèse par des scènes figées, Bosch insiste, lui, sur le dynamisme du processus par lequel les phénomènes naturels s'engendrent les uns les autres. Si la terre produit de la verdure, les herbes des semences et les arbres des fruits, c'est d'abord et avant tout parce que l'eau qui les nourrit ne cesse de changer d'état, de passer de l'état liquide à l'état gazeux, reliant ainsi le monde d'en haut, couvert de nuages, au monde d'en bas, baigné dans l'eau.
Toutefois, ce dynamisme ne se contente pas de suggérer l'idée de cycle et d'auto-fécondité, mais il sépare de manière très claire les deux temps du processus. Entre le volet gauche du triptyque, sur lequel une brume matinale scintille dans la campagne en fleur et le volet droit où d'épais nuages noirs s'amoncellent, Bosch ne nous suggère-t-il pas ce qui se cache derrière chacun de ces panneaux?
Ipse dixit et facta sunt
Car il dit et la chose existe
Au dos du

Bosch invente ici une scénographie non-conventionnelle dans laquelle l'idée même de péché originel est évacuée au profit d'une pensée plus optimiste et qui pourrait se formuler en ces termes : Si Adam aime Eve et réciproquement, c'est d'abord et avant tout parce qu'ils aiment tout deux le Christ qui les assemble. Seule la médiation bienveillante du Christ unie pour l'éternité les amants.
Ipse mandavit et creato sunt
Car il ordonne et la chose arrive
A l'inverse, au dos du
Mais la question se pose maintenant de savoir quel monde Bosch a inventé entre ces deux extrêmes, entre le panneau de gauche, double figure – naturelle et spirituelle – de l'union des contraires et le panneau de droite, image orageuse et passionnée de la vanité du monde, et de la colère de Dieu. Une chose est sûre, il semble que Bosch ait voulu nous suggérer que ce monde n'existe que sur une ligne de faille, dans un lieu et un temps que nous ne connaissons pas encore, mais qui pourtant, de toute éternité, existe dans l'imagination de l'homme.
Ce qui frappe d'abord, dans ce

Mais ne nous y trompons pas. Cette image idyllique n'est pas une représentation d'un âge d'or perdu, ni moins encore celle d'une humanité innocente et ignorant le péché. Elle est plutôt comme le rêve en mouvement d'une humanité connaissant la tentation mais essayant de ne pas y succomber. C'est pourquoi la mal et la souffrance y existent encore par endroits, mais toujours contrebalancés par la prodigalité de la nature et par les actes de charité qu'accomplissent les hommes les uns envers les autres.
Triomphant de tous ses mauvais penchants, la nature bestiale des jeunes mâles, chevauchant avec dextérité toutes sortes d'animaux, y encercle, en une sarabande délurée, des femmes nues aux corps séduisants. Mais ce débordement d'énergies, presque bachique, ne se résout pas dans l'ivresse et la transe des participants, mais exalte plutôt la maîtrise des cavaliers et l'attraction presque cosmique qui les pousse à tourner en cercle, tel des satellites amoureux, autour de l'être aimé.
Point d'orgue et ligne de fuite de ce panneau, la Fontaine de Vie qui, dans le Jardin d'Eden abritait en son centre la figure de la sagesse – un hibou, offre maintenant aux couples d'amants un espace ombragé où consommer leur amour.
Figure tutélaire, et pourtant presque cachée de toute cette composition, l'Eve originelle, peinte en bas à droite du tableau, tient dans sa main le fruit défendu sans pour autant le porter à sa bouche. Ses épaules et ses bras sont recouverts d'éclats d'or – symbole de l'alchimie et de la métamorphose – et son regard, tourné vers le haut, contemple l'ensemble du tableau. Est-ce là l'image SOPHIE, chère et très noble vierge de l'amour divin, qui selon les paroles de Jacob Boehme, te conduit par la porte de la noble épouse, qui est dans le centre, dans la limite de séparation entre le royaume du ciel et de l'Enfer. Peut-être. Mais une chose est sure, cette peinture de Bosch n'est ni une représentation du paradis perdu, ni, comme le voulait la tradition, une mise en garde contre les plaisirs de la chair, mais le rêve harmonieux que porte en son sein la divine épouse du Christ ressuscité.

Frédéric-Charles Baitinger
Hieronymus Bosch dit Jérôme Bosch (1453-1516) est un peintre néerlandais d'origine allemande.
fr.wikipedia.org/wiki/Jérome_Bosch