Julien Spianti

La figure du lieu

Alors que la peinture moderne, depuis Bacon au moins, a fait de la destruction du visage et du corps une sorte de leitmotiv figural, l’œuvre de Julien Spianti, telle un contre point musical, ajoute à cette figuration pathétique des corps, son corrélat spatial : et si le lieu, à l’instar de ce qu’il fut dans l’esthétique médiévale, redevenait ce locus translativus dont parle Albert Le grand ; autrement dit, ce lieu-figure grâce auquel la complexité d’un état d’âme accède au monde de la visibilité pure ?

La figure du lieu

« L’espace a quelque chose à dire que le corps ne dit pas. Si les visages s’effacent, c’est qu’il y a un visage du lieu, du décor, un visage de la chambre. »

La chambre est une monade ou plutôt, l’espace clos d’une âme dont le dehors est femme, nymphe, dyade. Ecce ninfa. La femme est le fantasme qui vient faire du lieu l’espace sensible d’un corps, d’une peau, d’un « champ dynamophore » capable de mettre en forme les atermoiements psychiques d’une âme. Oui, il n’y a pas d’hystérie du lieu sans femme. Voilà la vérité qui se dégage de cette série de dessins : le dehors de la monade est femme – même si ce dehors n’est qu’un fantasme, qu’une projection, qu’un masque.

« La femme investit l’espace au point d’en modifier la structure et la géométrie mâle. Elle le transforme en un espace trouble, un espace qui se liquéfie, qui se dilate. »

Ab oblivionis meae tenebras - Julien Spianti

« Le symptôme est un fantasme inconscient, traduit dans le langage moteur, projeté sur la motricité, figurée sur le mode de la pantomime. »Sigmund Freud

Les formes de la traversée - Materia Prima. - Julien Spianti

Mais qui est cette femme capable de transformer l’espace et de lui assigner le chiffre de son déplacement ? Serait-ce l’image séculaire de la ninfa, cette femme-enfant dont l’historien d’art Aby Warburg ne cessait de traquer les métamorphoses au cours du temps ? Cela est plus que vraisemblable, car dans chaque dessin de Julien Spianti se déploient de multiples références à l’histoire de l’art (il serait d’ailleurs intéressant d’étudier en détail la présence des tableaux sur les murs de la chambre), et plus particulièrement encore, à cette histoire des formes qui voit dans la ninfa (ou la Gradiva), l’archétype même du signa translata, du signe qui déstabilise de l’intérieur l’espace clos de la représentation.

« Il y a tout un jeu de miroir et de reflets incessants entre le personnage et son monde intime, sa chambre, ce lieu qui dérive aussi d’une structure carcérale. »

Il y a donc, entre la figure de la femme et l’espace carcéral de la chambre, comme une sorte de jeu virtuel impliquant, de la part de celui qui les regarde, de plonger dans la polysémie de ces images sans pour autant renoncer à leur attribuer un sens. Et si, à l’instar d’un Fra Angelico peignant le paradis sous les traits d’un jardin sanglant, les œuvres de Julien Spianti nous proposaient une iconographie renouvelée de la chute – une chambre d’angoisse ?

Frédéric-Charles Baitinger

Artiste

Julien Spianti est un artiste français qui vit et travaille à Paris et à Bruxelles

julienspianti.com
Lieu d'exposition

Galerie Pierre Marie Vitoux

Le syndrome de Stendhal

du 11 Février 2010 au 13 Mars 2010

3 rue d'Ormesson, Place Sainte Catherine, Métro Saint Paul, ligne 1

www.galeriepierremarievitoux.com