Edward Hopper

Felix Culpa

Si la qualité d’un artiste se mesure au degré de maîtrise avec lequel il fait usage de son art, il est incontestable qu’Edward Hopper fut un des artistes les plus doué de son temps. Dessinateur, graveur, illustrateur et aquarelliste, son œuvre graphique peut être comparée, dans sa virtuosité, à celle d’un Daumier, d’un Mucha ou d’un Toulouse-Lautrec. Mais par-delà ces qualités plastiques qui auraient suffi, déjà, à faire de Hopper un peintre de renom (comme peut l’être Sargent par exemple), il faut encore ajouter ceci : son sens incomparable de la lumière et de la composition. Car c’est seulement dans ses grandes toiles qu’éclate son génie figural – son sens aigue de la mise-en-scène et de la narration.

Felix Culpa

« La Grèce avait des artistes qui étaient en même temps des philosophes (…). La sagesse prêtait sa main à l’art et animait ses œuvres d’une âme au-dessus du vulgaire. »Gotthold Ephraïm Lessing

1. Hopper à l’école de Lessing

Illustrant à la perfection les considérations de Lessing sur la peinture, Hopper n’eu de cesse, sa vie durant, d’inventer des images capables de produire, sur notre imagination, un choc - là forçant ainsi à se mettre en mouvement. Or, et c’est là le paradoxe sur lequel repose ses plus grandes toiles - Nighthawks, People in the sun, Automat, Hotel Room… : pour que l’imagination puisse délier ses ailes et se mettre en mouvement, il faut que le peintre renonce à nous mettre sous les yeux l’expression même des passions (la souffrance, la jouissance, le cri) pour leur substituer des représentations plus pondérées et plus sages – et par là même aussi, ayant plus d’efficace sur l’esprit de celui qui les contemple. Car c’est à ce prix, et à ce prix seulement, que la peinture peut faire de l’instant unique qui la caractérise un monde dynamique et archétypal ; autrement dit, un monde dont l’étendu et le sens excédent de très loin les limites qui semblent devoir être imparties au tableau. Mais pour qui acceptera de prendre pour guide ces quelques pensées et non les vagues idées reçues sur la soit disant « solitudes des classes moyennes américaines » dans l’œuvre de Hopper, s’ouvrira un monde d’une sensualité et d’une érotique quasi inégalée en peinture

Introduction to philosophy - Edward Hopper

2.Excursion into philosophy

Il est bien connu qu’Hopper reçut, dans son enfance, une éducation baptiste, qu’il fut, sa vie durant, fidèle à sa femme (elle fut d’ailleurs son seul modèle vivant), et que ses œuvres, bien qu’inspirées par la sensualité d’un Degas, n’ont rien de directement érotiques . Et pourtant, envers et contre l’ascétisme apparent qui les caractérise, l’austérité des lieux et la solitude des personnages qui les hantent, il est indéniable qu’en sous-main se joue un drame d’une profondeur et d’un pathétique digne des plus belles pièces d’Ibsen. Un simple coup d’œil sur la toile nommée - Excursion into philosophy – (ô, douce ironie !) suffirait presque à nous en donner la preuve ! On y voit un homme assis, le regard fixe et l’air abattu. Dans son dos, à demi dévêtue, une femme est couchée sur le flan, permettant ainsi au spectateur de regarder, comme à la dérobée, le fruit défendu de son corps. Mais à cette douce invitation charnelle ne répond qu’un livre, ouvert en son milieu, et séparant spirituellement (comme le glaive séparait, dans la légende, les corps d’Iseult et Tristan) le corps des amants.

Morning sun - Edward Hopper

3.Eros philosophe

Quoi de plus simple et de plus triste que cette scène me demanderez-vous ? Et pourtant, quoi de plus désespérément stimulant pour l’imagination aussi ! Comment pourrions-nous ne pas spéculer sur l’intimité du couple – sur ce qui les sépare et les attire en même temps. Serait-ce un livre de Platon ? C’est là en tout cas ce qu’affirme la femme de Hopper dans son journal: « The open book is Plato, reread too late ». Mais que peut bien dire Platon de l’amour sinon ce qu’il en dit dans la Banquet ou le Phèdre ? Eros est un dieu boiteux. Il est le fils de Poros (la ruse, l’esprit alerte) et de Penia (le dénuement) – mais il est aussi le seul guide que nous ayons pour apprendre à nous tourner vers la Beauté du monde. Les mains pendantes, le regard tourné vers l’intérieur, l’homme assis médite – il contemple sa vanité dans la lumière du matin. Un de ses pieds est à demi dans le soleil. L’autre, en retrait, attend dans l’ombre. Il n’aurait qu’un pas à faire pour se tenir tout entier dans la lumière ; pour devenir celui qui sait – et qui peut dire, comme illuminé : je t’aime. Felix Culpa !

« Un peintre peint pour se révéler lui-même à travers ce qu’il voit dans son sujet.»

Frédéric-Charles Baitinger

Artiste

Edward Hopper est un artiste américain.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Edward_Hopper
Lieu d'exposition

Fondation de l'Hermitage

Hedward Hopper (1882-1967)

du 25 Juin 2010 au 17 Octobre 2010

2, route du Signal, case postale 38 CH - 1000 LAUSANNE 8 Bellevaux

www.fondation-hermitage.ch