Le théâtre du monde

« C’est bien une espèce d’automatisme qui nous fait rire. Un personnage comique est généralement comique dans l’exacte mesure où il s’ignore lui-même.»Henri Bergson, Le rire

En donnant pour titre à sa série de personnages celui d’Humanoïdes , Nadine Debien n’a pas seulement souligné la différence qui sépare ses œuvres d’avec leurs modèles, mais elle nous a mis sur la voie de ce qui en constitue l’essence comique. Car ce qui prête à rire, dans l’apparence extérieure d’un être, n’est jamais de l’ordre de la ressemblance ou de la mimesis. Bien au contraire : c’est toujours par un effort de simplification - par la saisie d’un détail, d’une expression ou d’un geste - qu’un artiste s’empare des potentialités comiques de son modèle.

Que ce soit dans sa pièce « La grosse tête », ou bien dans cette autre, intitulée de manière ironique, « L’avenir », ce qui importe n’est pas tant que nous puissions reconnaitre le personnage réel qui a inspiré ces œuvres que d’en percevoir la portée satyrique, et par là même, universelle. Comme dans une pièce de Molière dans laquelle le héros n’existe que par son défaut (L’avare, Les précieuses ridicules, etc.), Nadine Debien concentre l’expressivité de ses humanoïdes dans un trait qui les typifie et les porte au rang d’archétype.

Considérées dans leur totalité, ces œuvres forment comme une sorte de portrait kaléidoscopique de notre époque, et plus particulièrement peut-être, des idéaux types qu’elle produit sans jamais parvenir, pour autant, à en prendre conscience. C’est pourquoi l’art, ici, ne doit plus être envisagé comme un moyen d’exprimer des émotions mais bien plutôt comme un instrument ou un outil au service du mouvement et de la vie. Il est un antidote nous permettant de poser un regard à la fois lucide et attendri sur les « clichés » qui nous gouvernent tout en nous donnant la force d’en rire, et pourquoi pas, peut-être, de nous en dissocier.

« Le rire est une espèce de geste social. Par la crainte qu’il inspire, il réprime les excentricités, tient constamment en éveil et en contact réciproque, assouplit enfin tout ce qui pourrait rester de raideurs à la surface du corps social. »Henri Bergson, Le rire.

Frédéric-Charles Baitinger