Dominique Albertelli

Le temps retrouvé

S'il n'y avait pas l'amour, où serions-nous ? Dans quel lieu, dans quelle histoire, dans quel mythe ? S'il n'y avait pas l'amour, que pourrions-nous faire, sinon attendre, avec patience, que l'ombre de son aile nous touche et nous redonne accès au dehors ? Telles sont les questions que nous invitent à méditer, avec infiniment de poésie, les peintures de Dominique Albertelli.

Le temps retrouvé

« N'y a-t-il pas un trouble fondamental du présent, c'est-à-dire un fond qui renverse et subvertit toute mesure, un devenir fou des profondeurs qui se dérobe au présent. Et ce quelque chose de démesuré est-il seulement local et partiel, ou bien de proche en proche, ne gagne-t-il pas l'univers entier, faisant régner partout son mélange vénéneux, monstrueux, subversion de Zeus ou de Chronos lui-même ? » Gilles Deleuze

Sculptant ses oeuvres à même la matière de son inconscient, les personnages que cette artiste met en scène ne se distinguent qu'en apparence des fonds abstraits qui les supportent. Tantôt saisis par une sorte de tremblement interne, tantôt mus par un désir de transcendance, ils flottent à la surface de ses toiles et s'y dissolvent, parfois, sous la forme de petites bulles de matière – comme si leur présence venait réagir sur l'espace et modifier, en profondeur, sa consistance.

Quelque fois debout, le plus souvent assis et leurs visages sur le point de perdre leurs formes, ces figures invitent qui les contemple à partager pour un instant leur attente – à leur inventer une histoire. Et voici que s'élève, du plus profond de leur silence, une voix. Telle une peintre-poète, Dominique Albertelli réclame de nous que nous descendions en nous-même pour que nous puissions, à notre tour, expérimenter la profondeur temporelle de ses oeuvres et, par-là aussi, peut-être, la subtilité de leurs agencements.

Gravitant autour de quelques archétypes, de quelques figures-symboles – la femme-horloge, la femme au loup, l'homme en noir – leur structure narrative n'est pas sans rappeler la structure des pièces de théâtre de Samuel Beckett. S'il fallait en esquisser le récit, voici ce qu'il pourrait être : tandis qu'un femme au loup remonte avec défis le cours du temps – s'approchant, ainsi, du centre de ses peurs (un oiseau noir), une femme-horloge le descend avec pudeur – le yeux fixant avec bonté le spectateur.

Mais c'est peut-être plus encore dans la toile intitulée sobrement «  Le temps », toile dans laquelle la femme-horloge rencontre l'homme en noir, que s'accomplit le sens général de cette oeuvre et que s'entre ouvre enfin la douceur du temps. Car c'est à cet instant précis que le temps suspend son vol, que les tourbillons s'apaisent, et que les doubles regagnent avec sérénité l'esprit dont ils sont partis.

Et si Dominique Albertelli ne cherchaient pas seulement à peindre des êtres flottants à même l'inconsistance de leur chair mais, plus encore, peut-être, l'image de leur (im)possible tenue hors du temps ? Unio mystica.

Ambiance - Dominique Albertelli

Sans titre - Dominique Albertelli

Ecce Ninfa !

« Ninfa érotise – car Eros est cruel – le combat des êtres les uns avec les autres. Puis elle finit par réunir tout cela dans son propre corps : elle devient elle-même débat, lutte intime de soi à soi, noeud indémêlable du conflit et du désir, antithèse faite empreinte. » Georges Didi-Huberman

En véritable chorégraphe du corps passionné, Dominique Albertelli est à la recherche d'une langue gestuelle, d'un rythme, d'une transe de la ligne serpentine capable de rendre au désir sa liberté. D'avantage intéressée par les mouvements de sa modèle que par ses poses figées, sa pratique du dessin ne vise pas à reproduire la réalité, mais à saisir, sur le vif, des intensités. Grâce féminine – vénusté : et si l'héroïne impersonnelle de ces dessins se confondait avec l'image archaïque de la Ninfa ? De cette ménade, de cette bacchante disciple de Dionysos qui, depuis l'antiquité la plus reculée, passe pour être le symbole de la femme libre – de la femme ensauvagée ?

Joie extatique du corps - souffrance de l'âme. Dans leur succession même, dans leur accumulation folle, ces dessins nous délivrent des clichés qui emprisonnent, aujourd'hui, le corps de la femme. Sans pour autant renoncer à l'érotisme qui s'attache d'ordinaire à son image, ils nous en révèlent aussi la part d'ombre et de tourments. Véritable « dramatique de l'âme », passant par toute la gamme des émotions, les oeuvres de Dominique Albertelli nous montrent, avec une simplicité touchante, ce « vieux fond héréditaire d'engrammes phobiques1 » qui affecte le corps dès que celui-ci devient un corps désirant. Autrement dit, un corps aspirant à se perdre dans un autre tout en ayant conscience de la dangerosité d'une telle fusion.

Voilà pourquoi, peut-être, la sensualité qui se dégage de ces oeuvres n'a d'égale que leur dimension pathétique. Car si le corps de la femme est souvent comparé à un temple – à un lieu sacré dédié à un culte – c'est d'abord et avant tout parce qu'il est le lieu d'une rencontre paradoxale : d'une union dangereuse entre Judith - la femme sanguinaire, et Vénus, la mère de tous les hommes. Mais plutôt que de réduire la femme à l'une de ces images, Dominique Albertelli a choisi de placer son oeuvre son le signe de la vérité nue - et de maintenir ainsi, avec une sincérité désarmante, la complexité de l'archétype qui lui sert de trame. Ecce Ninfa !

Frédéric-Charles Baitinger

Artiste

Dominique Albertelli est une artiste française qui vit et travaille à Paris.

www.albertelli-dominique.com/fr/