Dayan

L'art Néo-Premier

Quoi de plus paradoxal que cette expression, « Néo-Premier », mais quoi de plus stimulant aussi ! Car comment ce qui est premier pourrait-il « venir après » sans, du même coup, perdre son antériorité ? Ou bien alors ne nous faudrait-il pas plutôt comprendre le terme néo comme évoquant l'idée d'une réactualisation, d'une répétition, d'une reprise d'un état plus primitif et qui seul pourrait nous permettre, en ces temps troublés (où l'art semble s'être voué au seul culte de l'idée), de reprendre contact avec ce qu'il y a de plus essentiel dans toute psyché humaine. A savoir : les pulsions qui la fondent ? Et si, entre santé, éthique et esthétique, il n'existait qu'une unité sacrée que l'art Néo-Premier s'était donné pour tache de retrouver ?

L'art Néo-Premier

« Le forage d'un puits artésien, ce travail de forçat, n'est pas aussi difficile que de trouver de la primitivité en un temps comme le notre, et de la faire percer. »Søren Kierkegaard

Pour commencer, comment pourrions-nous décrire avec quelques précisions le type d'expérience sur lequel s'appuie l'art Néo-Premier ? Et, surtout : dans quelle mesure cette expérience peut-elle faire l'objet d'un discours ordonné – puisque celle-ci implique que nous ne nous bornions pas à en décrire sa forme et son contenu, mais que nous sachions nous glisser au coeur de sa possibilité pour, à notre tour, en ressentir tous les bienfaits ? Telle est la difficulté à laquelle nous devons faire face; tel est le défis que nous devons relever.

Car il est bien clair que si l'art Néo Premier se donne pour objectif de plonger ses racines dans les profondeurs de la psyché humaine, cela ne veut pas dire, pour autant, qu'il désire sombrer – à l'instar de certains rites archaïques - dans la démesure ou, pis encore, dans une certaine forme de barbarie. Bien au contraire, l'art Néo Premier n'acquiert sa valeur qu'à partir de l'instant où il ne cherche pas seulement à réveiller en nous certains états de transe, mais qu'il parvient aussi à les maîtriser et à les mettre au service d'un ordre supérieur – d'une personnalité unifiée.

Sans doute effrayé par la proximité d'un tel risque, il est bien clair que l'art contemporain préféra suivre l'honorable voie que lui ouvrit Hegel quand il déclara, dans le préambule de son Esthétique, que l'art était désormais « chose du passé ». Et que seul le discours philosophique pouvait faire entrer la modernité dans un avenir sans risque – dans un avenir enfin réconcilié. Mais force est de constater que l'art contemporain, en ayant choisi une telle « absence de risque », n'est devenu que la maquerelle de la philosophie, et que la qualité de l'expérience artistique qu'il nous propose, bien loin d'avoir su profiter de ses noces « forcées » avec l'Idée, n'en est devenue que plus abstraite. Et, par conséquent aussi, plus insignifiante d'un point de vue éthique.

C'est pourquoi, à l'encontre d'un tel renoncement, d'un tel pessimisme plastique (qui, à n'en pas douter, donne à l'art contemporain son assise métaphysique), l'art Néo-Premier entend, quant à lui, faire retour à ce qu'il y a de plus archaïque et de plus essentiel dans toute expérience artistique. A savoir, à cet étrange mélange de réflexions et de passions, de pulsions et de rêveries, qui procure à l'art son énergie propre et qui lui assure la pérennité de sa fonction. Car l'art, d'un point de vue Néo-Premier, ne peut ni ne doit se soumettre à la philosophie. Il peut, bien évidemment, lui emprunter sa sagesse, tirer partir de ses réflexions, mais ce qu'il doit garder pour lui, c'est l'étrange et indicible mouvement qui le porte et que nous ne pouvons mieux faire que d'identifier sous le terme de mana.

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Et quand nous employons le terme de mana, nous ne faisons pas seulement allusion à cette espèce « d'énergie symbolique » qui, selon certains ethnologues, circulerait entre les hommes d'une même communauté, mais bien aussi à l'effet que peut produire une oeuvre d'art dès lors qu'elle n'est plus seulement considérée du seul point de vue de sa signification intellectuelle, mais bien aussi expérimentée comme faisant partie d'un totalité plus vaste et qui englobe en elle toutes les dimensions de la vie psychique et émotionnelle de l'homme (le corps et l'esprit ne faisant plus, ici, l'objet d'aucune séparation abstraite).

C'est pourquoi, bien loin de n'être qu'un « retour du refoulé » - comme pourrait être tenté de le qualifier certains hérauts de l'art conceptuel - l'art Néo-Premier est d'abord et avant tout un art d'inspiration bouddhiste ou taoïste (au sens où il repose sur une discipline, sur une éthique), et peut-être plus encore, un art cybernétique – si tenté que par ce terme nous fassions référence au travail de Gregory Bateson qui, le premier, su penser l'expérience humaine sous la forme d'un éco-système et, plus encore, peut-être, d'un ensemble de paramètres (de forces, de pulsions, d'instincts) n'ayant de sens que pour autant qu'ils fonctionnent ensemble – qu'ils concourent à produire une même harmonie.

« L'art, la poésie, la prière scandée, et bien d'autres choses encore ne sont pas vraiment des découvertes, ou plutôt si, ce sont des découvertes au sens étymologique du terme. Ce sont des dé-couvertes de ce qu'on savait déjà auparavant. Et le sacré est lié au fait de couvrir et de dé-couvrir des composantes plus profondes1. »

Mais plutôt que de nous borner à décrire abstraitement ce qu'est l'art Néo-Premier, essayons plutôt, en guise de conclusion, de nous approcher de manière plus concrète de ce mouvement et de décrire avec quelques précisions l'oeuvre de celui qui en a inventé le terme. A savoir : le sculpteur Dayan.

A la fois tournée vers le passé et vers le présent, l'oeuvre de Dayan a pour caractéristique principale d'être syncrétique -- autrement dit, de réussir à faire coexister en une forme cohérente des temps et des cultures qui d'ordinaire s'opposent. En effet, qu'y a-t-il de commun entre la statuaire grecque (qui, on le sait depuis Winckelman, était tout entière tournée du côté du calme apollinien) et l’expressionnisme défiguré des visages que ces oeuvres nous présentent ? Rien me direz-vous. Et l'histoire de l'esthétique ne serait pas loin de vous donner raison. Mais pour qui saura surpasser de telles idées toutes faites et prendre le temps de regarder ses oeuvres avec un brin de naïveté (de primitivité), une autre idée de manquera pas de lui apparaître : et si Dayan, à l'inverse des Grecs pour qui les représentations des dieux n'étaient qu'une manière de tenir à distance la puissance qu'ils incarnaient, ne s'emparait de ces figures que pour en faire rejaillir l'énergie enfouie – la force refoulée ? Telle pourrait être l'ambition fondamentale de l'Art Néo-Premier.

Frédéric-Charles Baitinger

Artiste

Dayan est un artiste français qui vit à Nancy.

www.neopremier.fr