Pierre Citron

Le corps bestial

Explorant avec génie les différents cercles de sa folie, l'oeuvre de Pierre Citron nous entraine dans un dédale de songes et de visions dont le terminus ad quo n'est ni l'enfer, ni le paradis, mais quelque chose de plus informe encore. A savoir : la découverte de ce « corps sans organe » dont parle Antonin Artaud – pour autant que par cette expression nous n'entendions plus un corps au sens où d'ordinaire ce mot s'entend, mais plutôt quelque chose comme un composé de flux que seules les couleurs libres de l'abstraction pouvaient permettre à cet artiste des confins de toucher du doigt - sans pour autant se faire absorber dans leurs tourbillons.

Le corps Bestial

« Balayé dans les flux, je génère d'autres flux. Il me faut métisser sur ce sort qui n'en est pas un, plutôt un inconstant et éternel retour des choses. »Pierre Citron

1. La connaissance par les gouffres (l'enfer)

En digne arrière petit-fils du marquis de Sade, l'entrée en art de Pierre Citron se fit sous les auspices d'une muse en colère, d'un muse tournée du côté de la chair - d'une folle au cheveux long courant dans les bois. L'âme écorchée, le regard tourné vers l'orient, c'est elle qui aida son amant à se saisir de sa plume comme d'un scalpel, puis qui guida sa main au moment de pratiquer l'incision. Ainsi naquit, d'une ivresse prolongée, ce petit théâtre de la cruauté nommé Genèse. Incipit crudelitas. Que l'enfer commence !

Plongés dans le noir, des membres épars surnagent au dessus d'un océan de pulsions. Des créatures marines – démons des profondeurs – s'humanisent. Des bouches ouvertes se hérissent de dents. S'il nous fallait désigner d'un seul mot l'ensemble des premières oeuvres de Pierre Citron, ce serait peut-être par celui de démoniaque. Car plus qu'une oeuvre fantastique, les images et les visions qui en composent le fond forment, dans leur ensemble, comme une sorte de cachot mental.

Le point d'orgue de cet enfermement trouve son illustration la plus parfaite dans une oeuvre intitulée « Le parloir » - oeuvre dans laquelle un homme, assis à une table, se fait aspirer le visage par la bouche d'un démon. Hermétisme du démoniaque. Absence de parole. Secret. Voilà bien la vrille qui force l'âme de l'égaré à revenir sans cesse sur elle-même – sans jamais se donner la chance de trouver, dans la parole de l'autre, une issue à son enfermement. Pierre Citron ou l'absence d'extériorité.

Epiphanie - Pierre Citron

2. Le stade du miroir (le purgatoire)

Mais le démoniaque a aussi pour caractéristique d'être inconstant. Autrement dit, de ne pas être enfermé, pour l'éternité, dans son isolement. Comme l'écrit Kierkegaard à son propos, le démoniaque conserve toujours – envers et contre son isolement - la possibilité de se connaître lui-même et, par là-même, de se tourner enfin vers ce dehors qui lui fait défaut. Et c'est bien là ce qu'est parvenu a faire Pierre Citron dans la deuxième partie de son oeuvre que nous serions tenté d'appeler, cette fois, d'une expression lacanienne passée dans le langage courant : « le stade du miroir ».

Centrée autour de la figure des doubles et de la pratique de l'auto-portrait, ce n'est plus les monstres qui y tiennent le premier rôle, mais l'artiste lui-même, et plus précisément peut-être, le combat que celui-ci y mène pour se libérer des images qui hantent son imagination. Tenue en laisse par une main absente, le corps bestial s'y soumet doucement aux ordres d'une conscience réfléchissante. Mais, là encore, le diable rôde. La parole lutte contre son propre silence. Et l'enferment, qui tient dans sa main absente le corps de l'artiste souffrant, reste encore à l'état virtuel.

Illustration parfait de ce pas hors de l'enfer – en direction du purgatoire – c'est au triptyque intitulé « l'autoportrait à la chaise » que nous devons de pouvoir en comprendre le sens. Accroupis, comme une bête furieuse prête à bondir sur sa proie, le corps muselé de l'artiste y est entouré de deux autres images de lui-même. L'une assise sur une chaise, le cou cerclé d'une corde, et le sexe planté comme une flèche dans son estomac; et l'autre, les mains attachées dans le dos, et le visage soulevée d'une grimace informe – comme s'il s'apprêtait à prononcer, enfin, sa première parole.

Hermes - Pierre Citron

3. Le corps sans organe (le paradis)

A l'issue de ce deuxième mouvement, l'oeuvre de Pierre Citron accomplit un saut. Non pas un saut dans la foi (comme aurait pu l'espérer Kierkegaard), mais un saut hors de lui-même, un saut hors de la figuration. Tel est l'ultime déplacement qu'il nous reste à expliquer pour que nous puissions enfin voir se composer devant nous le schème qui gouverne cette oeuvre et qui se confond, dans ses métamorphoses, avec l'évolution spirituelle de celui qui en est l'auteur – en même temps que son enfant.

Si le démoniaque est une catégorie de la subjectivité qui se prend elle-même pour objet, la figuration, dans l'oeuvre de Pierre Citron, en est comme le corrélat visuel. A la fois maîtrise absolu et absolu isolement, elle fut le signe d'une individualité marquée du saut de la génialité artistique tout autant que le principe même de son enfermement. A l'inverse, en accomplissant son saut hors de la figure – en laissant derrière lui la maîtrise absolue du trait – Pierre Citron s'est en fait dégagé d'une posture qui, tout en marquant sa supériorité, l'empêchait de gouter au joies de la couleur et, par là aussi, peut-être, d'explorer le terrain de la visualité pure.

Telle une sorte de rédemption figurale lui ouvrant les portes de son inconscient, le tournant lyrique qu'a connu l'oeuvre de Pierre Citron pourrait être comparé, dans sa radicalité, à une conversion. Même si, envers et contre la connotation religieuse que recouvre d'ordinaire ce terme, ce n'est pas à Dieu que cet artiste a choisi de dédier son art, mais à l'équilibre alchimique qui ordonne, parfois, l'infini turbulent de ses pulsions. Fiat lux ! Que le lumière soit !

Frères de fuite - Pierre Citron

Frédéric-Charles Baitinger

Artiste

Pierre Citron est un artiste français qui vit à Marseille.

www.pierrecitron.com/
Lieu d'exposition

Galerie Golden Brain

Pierre Citron

du 10 Janvier 2012 au 10 Mai 2012

www.goldenbrain.fr/