Jérôme Delépine

Les clartés des l'ombre

Les peintures de Jérome Delépine ont ceci de particulier qu'elles ne désirent pas susciter en nous un discours (une pensée critique, une réflexion, une métaphore) mais, tout au contraire, un silence. C'est pourquoi, le critique que je suis ne peut aborder cette oeuvre que dans l'angoisse du mot manquant – et plus profondément peut-être, dans l'attente d'une extase muette qui seule pourrait donner un contenu authentique à ce qui, par essence, relève de l'ineffable.

Les clartés de l'ombre

« Quand je sollicite doucement, au coeur même de l'angoisse, une étrange absurdité, un oeil s'ouvre au sommet, au milieu de mon crâne. Cet oeil qui, pour le contempler dans sa nudité, seul à seul, s'ouvre sur le soleil dans toute sa gloire, n'est pas le fait de ma raison, c'est un cri qui m'échappe».Georges Bataille, L'expérience intérieur

D'apparence baroque, l'oeuvre de Jérome Delépine n'est pas sans rappeler (d'un point de vue strictement plastique) celle d'un Rembrandt ou d'un Caravage. Mais à la différence de ces maîtres du clair-obscur qui, les premiers, surent faire de la lumière l'indice d'un au-delà, ce qui semble se tenir derrière les toiles de cet artiste ne se réfère à aucune religion révélée - à aucun dogme. Plus proche, en cela, des poètes mystiques que des Pères de l'Eglise ou des philosophes, sa peinture s'apparente d'avantage à ce que nous serions tenté d'appeler : une « théologie négative » mise en images.

Plongeant ses spectateurs dans une sorte d'obscurité teintée d'effroi, ce qui frappe de prime abord dans n'importe laquelle de ses toiles, n'est autre que l'étrange clarté qui s'en dégage. En effet, quelque soit le sujet que Jérome Delépine aborde (que ce soit un paysage, un portrait ou une scène), ce n'est jamais que dans une atmosphère d'outre-tombe qu'il nous le montre – comme si le drame qu'il tentait d'évoquer n'avait d'autre sens que celui d'une mise en question radicale de notre manière d'être au monde.

Sans titre - Jérôme DelépineSans titre - Jérôme Delépine

Commentant son propre travail, Jérome Delépine écrit : « "Je" est celui que je cherche en moi, celui dont je porte la mémoire. Cette enfance oubliée, cet être goguenard, effrayé ou introspectif, cette part d'humanité, là, dans les brumes du temps, sous le voile d'une lumière, voici ce qui habite ma peinture, mon questionnement. La lumière le dispute à l'ombre comme la résilience pourrait le disputer à la résignation. Que faudra-t'il réinventer ou redire pour enfin se consoler ? Mais quelle liberté enfin, et quel espoir de pouvoir s'émouvoir de nous-même, et de vouer sa vie à cela. De garder l'oeil ouvert sur notre condition d'homme».

Bien loin, donc, d'avoir pour ambition d'être édifiante (de nous apporter des réponses), cette oeuvre nous interroge, nous pose des questions. Elle ouvre, au coeur même de l'image, un espace spéculaire sur lequel vient se réfléchir notre soif de mystère – notre désir de transcendance. Et si, envers et contre leur apparence figurative, ces peintures n'acquéraient leur sens véritable que dans la mesure exacte où nous osons faire abstraction de ce qu'elles représentent – pour mieux nous plonger dans l'obscure clarté qui les fonde.

Frédéric-Charles Baitinger

Artiste

Jérôme Delépine est un artiste français.

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