Daniel Arsham

Entretien avec Daniel Arsham

Daniel Arsham est un architecte de l'étrange, un ingénieur de l'impossible, un poète du surréel. Pratiquant, avec une égale facilité, l'art du dessin, de la peinture, de la sculpture, de l'architecture et de la mise en scène, cet artiste polumetis, diplômé de la prestigieuse université new yorkaise de Cooper Union, est en passe de devenir l'une des figures majeur de l'art contemporain. Ayant déjà collaboré avec l'illustre danseur et chorégraphe Merce Cunningham, ainsi qu'avec le grand couturier Hedi Sliman, Arsham est aussi l'inventeur d'une nouvelle discipline artistique (fille cadette de la psychogéographie situationniste) : la snarkitecture (voir:www.snarkitecture.com). (extrait de mon article paru dans Graffiti Art Magazine). 

Daniel Arsham


FCB: Quelle a été votre source d'inspiration pour cette nouvelle série d'oeuvres que vous présentez à la galerie Perrotin ? Pourquoi vous êtes-vous tourné vers la musique alors que, jusqu'à présent, votre travail tournait plutôt autour de l'architecture ? De quelle manière cette nouvelle série d'oeuvres s'inscrit-elle dans la sillage de vos oeuvres précédentes ?


DA: L'exposition à Paris est bâtie autour d'objets archéologiques fictionnels ayant rapport, d'une manière plus ou moins directe, avec la musique. Ces objets familiers, qui font partie de notre vie quotidienne (un tourne disque, une radio, une batterie, un baffle Marshall) sont présentés comme s'ils venaient d'un temps passé; ce qui donne à ces objets - qui d'ordinaire passent inaperçu – une nouvelle consistance. C'est l'idée même d'écoulement temporel qui est ici remise en cause. Ce questionnement autour du temps est, il est vrai, similaire dans sa structure au questionnement que j'ai opéré dans le passé sur l'espace.

Inlet - Daniel Arsham


De la même manière que j'ai essayé d'altérer l'idée d'espace à travers mes jeux avec l'architecture, j'ai essayé, dans cette exposition, d'altérer l'idée de temps. En ce sens, cette nouvelle série peut être rattachée à mes travaux précédents dans la mesure où elle obéit, elle aussi, à la logique de ce que j'appelle : mon « archéologie fictionnelle ». Cette archéologie est basée sur un principe simple : prendre un objet en apparence familier, et le soumettre à un traitement tel qu'il finisse par nous apparaître comme quelque chose d'étrange, de surprenant.


FCB: Pourriez-vous nous expliquer d'une manière un peu plus concrète ce que vous entendez par l'idée d'archéologie fictionnelle ?


DA: Si je prends un objet comme un walkman par exemple – objet que nous possédons tous (ou que nous avons tous possédé) – et que je force cet objet à apparaître sous la forme d'une relique, cela implique, me semble-t-il, de repenser notre inscription dans le temps. Quel type d'idée nous faisons-nous du temps ? Dans quelle mesure croyons-nous, d'une manière inconsciente, à l'idée de progrès et de développement linéaire ? C'est vers ce types de questionnements que j'espère amener les spectateurs de ma nouvelle exposition. En les plaçant dans un temps futur où les objets de leur quotidien leur apparaissent comme venant d'un temps déjà ancien, je voudrais qu'ils fassent l'expérience de ce que Freud appelle : l'inquiétante étrangeté.

Altered Reel to Reel - Daniel Arsham


FCB: Seriez-vous d'accord pour dire que le thème de la musique, dans vos dernières oeuvres, fonctionne comme une sorte de métaphore pouvant représenter l'ensemble des arts dits “performatifs”, c'est-à-dire, l'ensemble des art dont l'essence réside dans le temps, et que c'est cette essence évanescente que vous cherchez à questionner en la mettant en rapport avec ce qui lui est le plus opposé, à savoir : l'art atemporel de l'architecture ?


DA : Je n'avais pas encore pensé de cette manière au rapport entre musique et architecture, mais il est vrai que la musique, tout comme l'art de la danse, est un art de la performance, un art éphémère – un art qui n'existe que dans le temps de son exécution – alors que l'architecture est un art qui n'existe qu'une fois son exécution terminée. En ce sens, les seules reliques archéologiques qui peuvent évoquer l'art éphémère de la musique sont les objets qui ont servi à la produire où à la jouer. Autrement dit, il ne peut exister de relique d'une performance musicale. Seules existent les reliques de ce qui, en un temps passé, a permis d'entrer dans le temps éphémère d'une performance musicale.

The future is always now - Daniel Arsham


C'est pourquoi les matériaux des oeuvres que je présente sont si importants. J'utilise des cendres volcaniques, des cristaux – des matériaux qui évoquent la géologie. Je ne veux pas que mes oeuvres soient des trompe l'oeil : je ne veux pas, par exemple, prendre une guitare Fender et la peindre de telle sorte qu'elle apparaisse comme étant vieille. Je veux que la guitare soit elle-même forgée dans un matériaux qui évoque, de part ses propriétés mêmes, le passage du temps. Mes oeuvres sont ce qu'elles paraissent être. Elles pourraient être ces reliques qu'en réalité, pourtant, elles ne sont pas.


FCB: En brouillant les frontières entre l'architecture et la musique (ou bien, dans vos oeuvres précédentes, entre l'architecture et le dessin ou la peinture) quel type d'effet cherchez-vous à produire sur vos spectateurs ? Seriez-vous plutôt d'accord pour dire que vous vous efforcez d'intégrer au caractère mathématique et stable de l'architecture le caractère accidentel et évanescent de la musique, ou bien, d'une manière inversée, que vous cherchez plutôt à donner à tout type d'art performatif le caractère stable et atemporel de l'architecture ?


DA:Je ne dirais pas que mon travail procède d'une volonté consciente de brouiller la ligne de démarcation entre architecture et musique, ou bien entre architecture et dessin. La peinture, le dessin, l'architecture, sont des domaines qui font parti de ma pratique. Mais ce qui les fait fonctionner ensemble est toujours un acte de pensée. C'est cet acte qui détermine la direction que prennent mes oeuvres, et qui leur permet d'évoluer à travers plusieurs disciplines comme l'architecture, la danse, la mise en scène, le cinéma, etc. Et puis le reste se fait de manière organique.


Fungi - Daniel Arsham

Plus je travaille dans une discipline, et plus cette discipline va venir influencer, d'une manière plus ou moins consciente, la manière dont je pratique l'autre. Ce que j'apprends dans une discipline refait souvent surface plus tard, au moment où j'en pratique une autre. Ma pratique de l'architecture ou du dessin, par exemple, influence la manière dont je fais de la vidéo ou du cinéma. C'est une altération mutuelle et réciproque d'idées et de techniques. L'essentiel restant toujours, pour moi, de pouvoir créer, dans l'esprit du spectateur, une certaine altération de ses perceptions ou pensées.


Quelque soit le domaine dans lequel je travaille ma démarche est donc toujours un peu la même. Je me saisis d'un objet familier (dont le sens, dans un contexte donné, relève de l'évidence) pour en subvertir d'une manière insidieuse le sens. Quand je travaille autour de l'architecture par exemple, j'essaie de faire en sorte qu'un mur puisse prendre l'apparence d'un drap ou d'un morceau de tissus; ou bien encore qu'un mur puisse donner l'impression qu'il est en train de fondre, de devenir liquide ou de flotter comme si le vent pouvait le traverser. Quand je fais de la sculpture, j'aime prendre un objet du quotidien pour le refaçonner dans un matériaux qui nous incite à poser sur lui un regard qui nous force à repenser notre ancrage dans le temps.


The Return - Daniel Arsham

Quand je détourne des éléments d''architecture, par exemple, les distordions que j'opère ne sont généralement pas visibles au premier coup d'oeil. En revanche, dès l'instant qu'elles sont perçues, elles peuvent se révéler perturbantes, et parfois même provoquer dans l'esprit du spectateur un certain malaise. Voilà dans quelle direction mon travail ne cesse de vouloir progresser.






Frédéric-Charles Baitinger

Artiste

Daniel Arsham est un artiste américain. 

http://www.danielarsham.com/