Clovis Trouille

De l'érotisme en peinture

« Un peintre a le droit de penser ! » Ainsi parle Clovis Trouille, et à suite, toute la horde de ses acolytes éclairés : Alfred Courmes, Maurice Rapin, Anne van der Linden, Bruno Balou, Francis Marshall, Pierre Mollinier… Plus proches, en cela, des hommes de lettres, que des peintres de leur époque, tous, ils ont choisi de ne pas renoncer à la figure, et de continuer à user de leur médium comme d’un langage.

De l'érotisme en peinture

« Ce n’est pas que l’humanité revienne à l’ingénuité des peuples sauvages, mais sortant d’un monde où ses pulsions étaient aveuglément réprimées, la possibilité lui est ouverte d’une lucidité sans exemple. »

Georges Bataille

Préférant dire l’inconscient plutôt que de se livrer à ses symptômes, l’œuvre de cette troupe à l’innocence sauvage nous révèle, dans un dialogue saisissant avec l’histoire, cette vérité cachée depuis l’émergence des « avants gardes » : « Chers amis, tournez le dos aux écoles, n’adhérez qu’à vous-même. Chaque artiste à son secret en lui qu’il lui faut découvrir .» Mais ce secret, quel est-il ? Clovis Trouille, grand prêtre et maître es libido de ce mouvement post-anarchiste, nous le suggère dans sa forme interrogative : « La source de l’art n’est-elle pas dans l’érotisme, c’est-à-dire dans la vie ? ».

Une chose est sûre, la vérité en art n’est pas, pour ces adeptes de la psychanalyse, du côté de l’abstraction et du formalisme, mais dans la quête éperdue d’une scénographie capable de mettre en scène la dynamique même de nos fantasmes. C’est pourquoi la peinture, ici, est « cosa mentale », c’est-à-dire, une production de l’esprit, si tenté que ce terme n’évoque pas une pensée dépourvue d’organe, mais bien l’effort de faire du clair-obscur de nos émotions, la ligne de force d’une nouvelle « figuration érotique ».

Sans titre - Clovis TrouilleLe confessional - Clovis Trouille

Jamais pornographique, l’œuvre de Clovis Trouille joue avec les interdits : elle les manipule, les contourne ou les parodies pour mieux nous aider à comprendre quel rôle et quelle fonction ils ont dans nos vies intimes. L’érotisme n’a de sens que pour celui qui reconnaît la valeur de ce qu’il transgresse. Car, sans cet attachement implicite à la règle, la sensualité ne peut que retomber dans les limbes de l’animalité. Voilà qui explique peut-être pourquoi Clovis Trouille écrit, dans une lettre à ses biographes : « Je me rends compte ici, sur les plages, que la femme perd tout son sex-appeal en s’exhibant nue. ».

Comme l’exprime si bien Kierkegaard – sans doute le plus grand penseur de l’érotique : « ce n’est qu’à partir du moment où la sensualité a été niée [avec le christianisme] qu’elle a été définitivement posée comme principe et comme force .» Le géni de Clovis Trouille aura donc été de percevoir et de mettre en forme ce paradoxe ; de maintenir cette double exigence sans laquelle la sensualité perd son ressort et son âme.

Frédéric-Charles Baitinger

Artiste

Clovis Trouille (1889-1975) est un peintre français.

www.clovistrouille.net