Paul Rebeyrolle

Le mystère ébloui

Ne pas peindre seulement ce que l'oeil voit, mais ce que le corps touche, ce que la langue goûte, ce que l'odorat sent. Autrement dit : ne pas peindre pour représenter quelque chose, mais pour réussir à faire passer le fond dans la forme et peut-être plus encore, la force et le souffle dans les couleurs et les fragments de matière qui composent une toile. Voilà ce qu'aura tenté de faire, avec une sincérité foudroyante, l'inoubliable Paul Rebeyrolle. Puisse son oeuvre trouver, enfin, la reconnaissance qui lui revient de droit.

Le mystère ébloui

« La part la plus importante d'une peinture, c'est une espèce de mystère qui échappe totalement à notre contrôle, quelque chose d'indéfinissable qui fait que le tableau existe. »Paul Rebeyrolle

La Fondation Salomon, en ayant choisi d'axer son exposition, non pas sur l'oeuvre entière de Paul Rebeyrolle, mais sur une partie seulement (et plus précisément sur ce qu'il convient d'appeler ses oeuvres de maturité, oeuvres s’étalant de 1957 à sa mort), a fait preuve de beaucoup de bon sens. Car il est certain que c'est à partir de 1957 et, pour être plus précis encore, de l'oeuvre intitulée « La pluie et le beau temps », que Paul Rebeyrolle s'est résolument détourné de la figuration et de l’expressionnisme alors en vogue, pour s'approcher de ce qui allait devenir son style propre, sa percée politique, son avancée dans le coeur foudroyé de l'homme.

« Moi, j'aime à dire de ma peinture qu'elle est naturaliste. Le naturalisme, c'est une immersion dans la nature. Et je crois avoir réussi à marier naturalisme et politique, ce qui pour moi est essentiel : si tu peins un corps de femme ou d'homme, peu importe, ou de supplicié, c'est en fonction d'une conception politique, mais si ce corps n'est pas plein de sang, si on ne sent pas que ce sang circule sous la peau, que la chair est tendre, que le sol est vraiment un sol fait de terre et de pierre, et si le ciel qui est derrière est en carton, alors on ne fait strictement rien qu'exprimer une théorie.»

Cyclope - Paul Rebeyrolle

Voilà pourquoi, entre la politique, la nature et l'homme, Paul Rebeyrolle a choisi de ne pas faire de différence mais de toujours essayer (l'impossible) de les réunir en un tout cohérent. En un corps vibrant, souffrant, pesant, en un corps fait d'âme et de chair. Tel est son secret. Sa passion tragique et drôle à la fois. Le naturalisme c'est, pour Rebeyrolle, de voir le monde tel qu'il est - tout en habitant sa souffrance. Il n'est qu'à se donner le temps de contempler une toile comme « Le petit commerce – Le monétarisme » pour que saute à nos yeux cette vérité simple. Cette absence de « bon goût » comme aime à le dire ce pourfendeur d'idoles. Car pour lui, une chose est claire : la peinture n'est pas faite pour plaire aux yeux, pour séduire par artifices, ni moins encore pour faire passer un message. Non, la peinture n'a de contenu que dans la mesure où elle nous donne une expérience totale et immédiate – une expérience capable de faire vaciller nos certitudes.

Sans titre - Paul Rebeyrolle

« La vulgarité, c'est l'absence d'engagement – pas de manière politique, bien que ce soit quelque chose qui compte pour moi, mais d'engagement plastique : trouver des solutions plastiques qui ne soient justement pas de bon goût, comme beaucoup font. »

Car se satisfaire des formes comme n'étant que des signes ou des symboles, et plus radicalement peut-être, comme n'étant qu'un jeu de couleurs, de lignes et d'ombres sur une toile, cela revient toujours à ne pas s'engager subjectivement et affectivement dans son travail. C'est refuser de se penser dans sa pratique. C'est voler à l'art son âme. Voilà pourquoi Paul Rebeyrolle écrit : « Je ne crois pas à l'avant-garde. L'avant-garde, c'est la mode. Moi, je ne suis rien, je suis mon chemin».

Et le chemin que suivit ce marginale, ne fut jamais éclairé que par une seule étoile, que par un seul amour physique, profond et tendre pour la nature et ses enfants. Sangliers, poissons, chiens, vaches : autant d'êtres suppliciés, traqués, chassés; mais autant aussi de créatures vivantes, souffrantes, et pour ces raisons mêmes – ô combien aimables. Ne pas séparer la pensée du réel. Les sentiments de l'horreur. Devant une toile de Rebeyrolle, Jean-Paul Sartre s'est un jour demandé : par quel miracle ce peintre parvient-il à nous faire aimer une telle vérité - nue ?

« Les efforts gigantesque que l'on fait, ce n'est pas pour un plaisir fugitif, ni pour la gloire ou la postérité. On aimerait simplement que notre travail continue à avoir une certaine utilité, que ça serve un tant soit peu, que ce ne soit pas uniquement quelque chose de passager, et donc d'un peu futile. »

Sans titre - Paul Rebeyrolle

Frédéric-Charles Baitinger

Artiste

Paul Rebeyrolle est un artiste français. (1926-2005)

fr.wikipedia.org/wiki/Paul_Rebeyrolle