Franck Omer

Un rêveur en éveil

Si la conscience critique de la modernité se vante d'avoir su triompher de tous les mythes, cultes et autres pensées magiques, cela ne veut pas dire, pour autant, qu'elle a su triompher des pulsions qui les enfantèrent. Bien au contraire : en abandonnant aux enfants, aux poètes et aux fous ce que les anthropologues appellent - la pensée symbolique – la rationalité moderne n'a fait que se priver du médium dont l'humanité entière, avant elle, s'est servie pour parler de son devenir spirituel, de sa hiérophanie1. Car les mythes et les figures archétypales, loin de n'être que des créations irresponsables de l'inconscient, sont d'abord et avant tout l'expression la plus adéquate des contradictions sur lesquelles repose toute existence.

Un rêveur en éveil

La pensée symbolique n'est pas le domaine exclusif de l'enfant, du poète ou du déséquilibré : elle est consubstantielle à l'être humain : elle précède le langage et la raison discursive. Le symbole révèle certains aspects de la réalité – les plus profonds – qui défient tout autre moyen de connaissance. Mircea Eliade, Images et symboles.

Alors que la plupart des artistes contemporains confessent avoir découvert l'art dans un musée, c'est lors d'un voyage en Indes – déjà âgé de 20 ans – que Franck Omer eut la révélation de sa vocation. Subjugué par la richesse de l'iconographie de la culture traditionnelle indienne, il eut, à son contact, ce que d'autres appellent : une expérience mystique. Saisis de picotements, sa joie ne fut pas seulement esthétique ou intellectuelle, mais elle embrasa la totalité de son être et décida du reste de son existence. C'est là pourquoi l'oeuvre de Franck Omer ne doit pas seulement être regardée comme celle d'un peintre à l'inspiration féconde, mais aussi comme celle d'un hiérophante, d'un passeur de symboles, d'un rêveur en éveil.

« A 20 ans j'ai été percuté par l'iconographie indienne. J'ai eu comme un coup de foudre : j'ai observé des peintures, pendant des heures, et j'ai senti des vibrations. Je ne sais pas si c'est mystique, mais c'est ce qui m'a poussé à m'intéresser à la mythologie, aux monde des idées. »

Arrière petit-fils spirituel d'un Bosch, d'un Grünewald ou d'un Bruegel, son univers pictural ne se réduit pourtant pas à celui des peintres mystiques flamands. Jouant avec habileté sur la gamme complète des symboles de la culture mondiale, ses oeuvres transgressent avec humour et poésie l'autorité des traditions qu'elles manipulent et nous projètent au coeur d'un monde étrange dans lequel les ombres de la forêt primordiales se glissent entres les briques des murs de la cité. En elles, le monde de la quotidienneté profane (où chaque être dispose de son identité, chaque objet de sa fonction) rencontre sa limite : la cage thoracique d'un squelette (vestige d'un dieu devenu relique) devient cage à oiseau, les déjections d'un rat (dont le museau a pris la forme d'une tête d'homme) de délicieux petit gâteaux... Tout se passe comme si toutes les valeurs les plus sacrées n'étaient plus, pour cet artiste, que d'heureux prétextes pour laisser libre court à sa folie.

Kwakiutl's clouds - Franck OmerVagina Dentata - Franck Omer

« Le retour du sauvage à la civilisation. C'est un peu ça ce que j'interroge dans mes peintures. Le passage du monde profane au monde sacré. La foret initiatique... Je me sers de l'image de la forêt pour déguiser celle du temple... »

Fuyant à toute jambe le monde désenchanté des adultes pour suivre, comme Alice, le lapin blanc au fond de son terrier, les paradoxes visuels qu'invente Franck Omer n'ont de sens que dans l'esprit de ceux que le sérieux du monde fatigue et qui n'ont pas peur de faire face aux monstres qui grouillent et dansent dans les profondeurs fertiles de leur inconscient. Car c'est à cette condition seule – sous l'effet de ce divin relâchement – que les histoires que ses toiles nous content pourront retrouver leur cohérence folle, leur délicieuse substance.

« Je trouve, parfois, ma peinture désuète, innocente. J'ai l'impression de ne pas maitriser, de ne pas comprendre ce que je peins. Mais l'important n'est pas tant de comprendre ce qu'on fait que de parvenir à repousser la censure mentale, de réussir à s'exprimer. »

Telle serait donc l'impossible pari qui sous-tend l'oeuvre de ce moderne hiérophante : lâcher la clarté aveuglante du concept pour rejoindre l'éblouissement d'une création qui ignore jusqu'au sens même de ses démences. Et dans ce lâcher prise, dans ce décrochage de la conscience, réussir à retrouver, comme par enchantement, les linéaments d'un gai savoir visuel capable de toucher directement à l'âme. Car l'Image, dès lors qu'elle n'est plus seulement une collection de signes, mais un montage complexe de symboles, n'est pas seulement un langage parmi d'autre, mais la langue universelle par excellence.

« Je conçois les figures archétypes que je peins comme de potentiels d'énergie que l'inconscient collectif peut se réapproprier. Même si les gens ne connaissent pas forcément les figures auquel je fais référence, je veux qu'ils puissent les sentir. J'essaie toujours de donner du sens à mes personnages; de rendre mes peintures toujours plus claires, plus accessibles, plus percutantes. »

Frédéric-Charles Baitinger

Artiste

Franck Omer est un artiste français.

http://franckomer.ultra-book.com/